Je vous ai déjà parlé, dans ce blog, de mon copain Casquette. Je viens d’apprendre sa mort, datant de deux ou trois semaines. N’allez pas croire une quelconque tristesse de ma part, juste une vague mélancolie sur des années passées. Avec Casquette, nous étions fâchés à mort depuis que sa femme avait tenté de porter plainte contre moi et trois autres copains pour viol. Compte tenu de la tronche de la donzelle, je suppose que la crise de rire empêchait le policier de finir la saisie de la plainte…
D’ailleurs, je me demande si je n’ai pas souhaité sa mort, quelques temps, tant l’atmosphère devenait irrespirable, au Kremlin-Bicêtre, quand j’approchais de la Porte d’Italie. Nous nous étions vaguement réconciliés il y a trois ans, ils étaient venus visiter la Comète quand elle a été refaite.
Entre eux et moi, tout avait commencé il y a quinze ans. Enfin, quatorze ans, trois mois moins deux jours. Il faut être précis, d’autant que je ne me rappelle que de la date de début, pas des dates intermédiaires. C’était à cette époque de ma vie, à 30 ans, où j’avais choisi d’arrêter le rythme « Boulot, maison, Bretagne le week-end ». J’avais commencé à fréquenter la Comète, le hasard, le bistro le plus près de chez moi (le seul entre le métro et chez moi), celui qui est toujours mon fief quinze ans après.
Casquette et Jaja y étaient tous les lundis, mercredis et vendredis. On avait fini par discuter ensemble, comme discutent des connaissances de comptoir, ils étaient copains avec des lascars que je commençais à connaître. A la tienne, à la mienne, en quelques semaines nous étions devenus copains d’enfance. Ce couple avait commencé à se prendre d’affection pour moi et je le leur rendais probablement assez bien. Il faut dire qu’ils étaient d’une régularité exemplaire pour ce qui concerne les heures de fréquentation des bistros. Comme j’habitais près de la Comète, c’était très souvent que les copains finissaient à la maison, après la fermeture du rade.
Casquette et Jaja m’invitaient souvent à manger, le dimanche, dans leur appartement glauque du rez-de-chaussée, rue de la Convention. Affreux, les volets toujours fermés pour ne pas être vus de la rue, tous les deux fumeurs, la tapisserie était jaunie, ça puait. Du coup, elle déprimait, lui se fâchait après elle.
Glauque, c’est le bon mot. La vie d’un des derniers couples d’ouvriers en petite couronne. Obligés de garder le même appartement pourri pour ne pas avoir à subir d’augmentation de loyer, appartement tellement pourri que la seule occupation possible, pour elle, était de faire le tour de Bicêtre à pied, s’arrêtant dans chaque bistro où elle trouvait un copain, attendant l’heure que son homme émerge de chez lui pour le retrouver dans ses bistros à lui. L’homme commande, merde !
Les jours où ils n’étaient pas fâchés.
Au bout de quelques années, six ou sept peut-être, j’avais commencé à prendre mes distances, lassé par cette vie monotone et… glauque. Monotone ne me dérange pas. Moi-même, je suis assez casanier.
Vers 53 ou 54 ans, il s’est retrouvé au chômage et avait arrêté de venir à la Comète. Je ne les voyais plus que le samedi puis de plus en plus rarement. Jusqu’à cette sordide histoire de viol. Elle avait pris une cuite mémorable et n’avait trouvé que ce prétexte, puisque, avec trois copains, nous étions les derniers à l’avoir vu ce soir là, pour expliquer que des braves gens l’aient retrouvée endormie dans le caniveau, défigurée, dans une petite rue près de La Poste.
Casquette était ouvrier. Il était imprimeur. Très fier de son job comme beaucoup. Il nous ramenait parfois des échantillons de ce qu’il faisait, quand il était content. Ses machines à imprimer se réglaient à la main, à l’œil même pour ce qui concerne les couleurs. Il était très fort, parait-il, pour régler les doses d’encre. Les années se mélangent, maintenant, dans ma tête, mais ça devait être vers 2002 ou 2004. Son patron a pris sa retraite. Les repreneurs ont jeté les vieilles machines manuelles pour s’équiper en numérique. Casquette a refusé les formations, les reconversions, ne pouvant pas comprendre que le métier qu’il avait pratiqué pendant près de 40 ans allait tout simplement disparaître du fait du progrès technologique.
Licenciement économique vers 54 ans. Impossible de retrouver du boulot. Chômage, RMI, … Juste de quoi se payer le loyer de son appartement glauque.
Je suppose qu’un couple de jeunes cadres y habite maintenant. Je viens de faire un tour sur Internet, le prix d’un tel appartement (rez-de-chaussée, 300 mètres du métro) est de l’ordre de 1000 euros par mois. Un SMIC, quoi.
Alors Casquette attendait, pendant 6 ans, de pouvoir toucher une retraite. Ses revenus diminuant d’année en année, il ne sortait presque plus, les revenus de Jaja payant les charges courantes. Jaja a fini par prendre sa retraite, aussi, mais ils ne s’en sortaient plus vraiment. Alors ils ont quitté Bicêtre et sont parti vivre dans la vieille bicoque de sa mère, en Corrèze, morte depuis peu.
Leur vie s’éclaircissait enfin.
Il a tenu deux ans. RIP.
On a appris hier que le chômage était au plus haut depuis des lustres. « Fin 2010, le nombre de chômeurs a franchi la barre des 4 millions. Si le chômage des jeunes recule légèrement, celui des seniors explose. »
« Le nombre de demandeurs d'emplois de plus de 50 ans a augmenté de 16,3% sur un an. »
Et tout ce que trouve le gouvernement à faire, c’est d’augmenter l’âge de la retraite.
Pourtant, celle de Casquette n’aura pas coûté cher.
Edit : un copain a contacté Jaja et on en sait dorénavant plus. Je me suis effectivement mélangé dans les dates voulant absolument lui donner 62 ans. Il n'en avait pas 60, en fait et avait eu sa retraite un peu avant 60 ans car il avait commencé à 14 ans. Ce qui ne change rien au problème, bien au contraire.
Edit : un copain a contacté Jaja et on en sait dorénavant plus. Je me suis effectivement mélangé dans les dates voulant absolument lui donner 62 ans. Il n'en avait pas 60, en fait et avait eu sa retraite un peu avant 60 ans car il avait commencé à 14 ans. Ce qui ne change rien au problème, bien au contraire.
Si sa mère avait vécu moins longtemps, il aurait peut-être vécu plus longtemps.
RépondreSupprimerCe n'est pas un commentaire cynique, c'est juste une observation : il faut pour certains, attendre d'hériter pour pouvoir enfin respirer un peu, ce qui est le cas de casquette. Peut-être quelques années de moins à traîner à Paname lui auraient donné l'envie de faire un potager et d'oublier de mourir.
Captain,
RépondreSupprimerJe ne sais pas. Ils attendaient aussi la retraite de Jaja, puis, le temps de se décider... C'est aussi un pas à franchir, quitter 30 ou 40 ans d'une vie...
"Ce qu'ils sont obtus ces gauchistes, vraiment pas le sens des réalités, nous avons sauvé la répartition !"
RépondreSupprimer(Qui est lucide maintenant ?)
(très très très bon billet)
Dorham,
RépondreSupprimerLucide ?
(merci !)
on t'a déja dit que tu écrivais bien ? tu devrais ouvrir un blog
RépondreSupprimer:)
Mrs Clooney,
RépondreSupprimerJ'ose pas.
(merci !)
Tu as un vrai talent pour raconter sans pathos, ni mépris travesti en commisération, la vie des "petites gens".
RépondreSupprimerRomain,
RépondreSupprimerMerci. Mais c'est parce que je n'ai ni mépris ni commisération. Juste un oeil.
J'ai cru que c'était l'autre "casquette", celui qui tient le café "le bouliste" à salengro. tenait d'ailleurs puisqu'il va aussi prendre sa retraite
RépondreSupprimeril y avait donc deux casquette à bicetre
Martin,
RépondreSupprimer"Casquette" est le surnom de tous les chauves...
Dorham a raison : excellent billet. Cela tient à la distance entre le sujet et l'auteur : exactement la bonne, ni trop près (apitoiement forcé) ni trop loin (condescendance).
RépondreSupprimerCela dit, vous auriez pu vous abstenir de violer sa grosse.
Didier,
RépondreSupprimerMerci ! Mais si on ne peut plus violer les thons quand on est bourré, quand le ferait-on ?
il est marrant le slogan de ton site..en effet je m'autocensure pas mal à ce sujet pourtant ça m'intéresse
RépondreSupprimerChocoladdict,
RépondreSupprimerIl ne faut pas s'autocensurer ! Beaucoup d'observateurs de la vie politique oublient complètement le rôle de l'électeur...
Par exemple, dans mon billet, ici, je dis : bon ben les gars, on est peu de chose, c'est complètement con de bosser plus vieux...
IL FAUT LE DIRE...
Tu devrais multiplier cette sorte de post. C'est formidable, c'est un témoignage, une photo, une marque de personnes et d'époques qui ne sont plus. Sans compter l'aspect humain.
RépondreSupprimerFanette,
RépondreSupprimerTu crois que c'est facile ? Et que l'occasion se présente tous les jours...
Il faut :
1. Des vrais gens.
2. Que je connaisse assez bien.
3. Dont je ne suis pas (ou plus, en l'occurrence) proche...
4. Une histoire à raconter.
D'accord avec m. Goux
RépondreSupprimerMerci !
RépondreSupprimerBobiyé !
RépondreSupprimerAu passage, aucun responsable politique ne semble intéressé par l'absence de rapport entre le montant des loyers et celui des salaires. C'est très con pour des élus qui nous représentent, même de droite !
:-)
[Ça me rappelle que mon père était tout heureux de pouvoir enfin prendre sa retraite avant d'apprendre 6 mois plus tard qu'il avait un cancer à tous les étages ! :-| ].
Poireau,
RépondreSupprimerMerci !
Le coût du logement est pourtant un des problèmes essentiels, en France, notamment parce que l'augmentation a changé toutes les donnes depuis quinze ans et foutu en l'air toutes les références qu'on pouvait avoir.
[mon père est moins dépensier que toi, il a eu son cancer à 56 ans pour en mourir quasiment au moment de passer en retraite]
Casquette et sa femme ils n'allaient pas chez Mouloud et Brahim ?
RépondreSupprimeret puis très beau billet en effet
RépondreSupprimerles medicaments de dents te font pousser des ailes au clavier dis donc
Oui tu les as probablement vus quand tu es venu (en 2002 ?).
RépondreSupprimerQuant à tes propres ailes...