Une des mesures du projet du PS porte sur les « CV anonymes », proposition récurrente qui m’a toujours laissé dubitatif : je n’y crois pas, la « discrimination » peut toujours se faire lors de l’entretien.
J’ai été confronté au problème, non pas à cause de nom exotique ou de mon faciès louche, mais avec une des facettes de mon ancien métier : consultant… Sur la fin, devenu « consultant manager » parce qu’il faut bien nous accorder des titres ronflants pour compenser l’absence d’augmentation, j’aidais mes commerciaux préférés dans leurs dignes tâches consistant à vendre des prestations à des clients.
Vendre des prestations, en français, veut dire vendre des individus salariés de l’entreprise à un client pour un certain nombre de jours.
Ca se passe ainsi :
- le client émet le besoin d’avoir une assistance pour une période plus ou moins longue de la part d’un gugusse ayant tel profil de compétences,
- les sociétés de conseil répond à l’appel d’offre et transmet des CV,
- le client sélectionne quelques CV et demande aux sociétés de conseil de leur présenter les personnes au cours d’un entretien,
- chaque société de conseil a donc une heure pour présenter ce qu’il veut faire (le « consultant manager » intervient pour prouver au client que le « consultant sénior » pourra s’appuyer sur des compétences internes).
Les CV sont anonymes (on ne vend pas des individus mais des prestations ou des compétences).
Dans ma boite, on recrutait souvent des jeunes consultants issus du Maroc et de Tunisie, non pas pour faire de la discrimination positive, mais parce que dans mon domaine, ils ont de très bonnes formations, ces pays utilisent les mêmes technologies que la France et les jeunes qui viennent chez nous sont vraiment motivés pour travailler, pour apprendre, pour mener une carrière.
Dans ce métier de consultant, les compétences sont évidemment essentielles mais le look fait beaucoup. Aussi, le client s’attend souvent à avoir un grand type en costar noir, avec les cheveux courts et une cravate pas à chier.
Alors le client, quand il a rencontré cinq ou six « consultants juniors » disponibles, va prendre celui dont les compétences sont plus adéquation avec le besoin (mais il a déjà trié les CV)… et celui dont le physique sera le plus en adéquation avec ses propres critères.
Je ne vous raconte donc pas le nombre de marchés qu’on a perdus avec nos consultants issus d’Afrique du Nord. Sans compter que les clients finissent par devenir des copains (mon domaine est assez fermé) et nous avouent les motifs de leurs choix. On ne dénonce pas les copains et les clients à la Halde, c’est dommage…
Ainsi, le CV anonyme me laisse froid.
Néanmoins, une expérimentation a été menée sur 8 départements avec des entreprises volontaires. Mon confrère et homonyme Nicolas en parle plus longuement dans son billet de ce matin.
En fait, la mesure est largement contreproductive.
« Avec les CV nominatifs les candidats issus de l'immigration ou résidant dans les zones sensibles ont une chance sur 10 d'obtenir un entretien contre une chance sur huit pour les autres candidats. Mais lorsque le CV est anonyme, l'écart s'accroît, à 22 contre six, selon l'étude. »
Pour résumer, un candidat issu de l’immigration aura moins de chance qu’un autre d’obtenir un entretien. C’est surprenant : comment le gugusse qui trie les CV devine-t-il qu’il y a une différence entre les candidats ?
Nos scientifiques sont sur la piste et vont poursuivre les études. Je pense d’ailleurs qu’ils sont sur la bonne piste si j’en crois les différentes lectures (Didier Goux m’a fourni ceci à lire, hier, menant au rapport final - pdf de 94 pages) et ma propre expérience puisque je suis moi-même amené à opérer des tris de CV quand ma boite (actuelle ou les précédentes, quand j’étais consultant) doit recruter.
Quand le candidat a « moins de 35 ans », on a une fâcheuse tendance à chercher les trous dans le CV et mesurer la fidélité de chaque gugusse à chaque poste (s’il n’est pas fidèle c’est soit qu’il est incompétent soit qu’il n’accorde pas une priorité à son employeur) et à éliminer les « canards boiteux »...
Globalement, si un type de trente ans a bossé les six dernières années dans deux boites différentes, il a plus de chance d’être retenu qu’un mec qui a fait des petits boulots dans une banlieue pourrie un quartier défavorisé…
Ainsi, selon les études (ou ce que j’en ai compris), avec un CV non anonyme, les trieurs de CV ont tendance, en particulier, à pratiquer une « discrimination positive », pour des motifs qu’il reste à déterminer (soit pour se donner bonne conscience – « on ne pourra pas me reprocher… » - soit par sympathie – « laissons lui sa chance »).
Un des seuls effets positifs du CV anonyme serait de réduire l’écart entre les hommes et les femmes. Olympe nous donnera sont avis sur le sujet.
Quant à moi, je vais lire le rapport final (mais j’ai déjà les machins du PS à lire…).
(photos : livreur de pizza, manutentionnaire, laveuses de voiture)
(photos : livreur de pizza, manutentionnaire, laveuses de voiture)
le lien sur votre homonyme ne fonctionne pas
RépondreSupprimerBonjour Nicolas, comme tu as l'air de connaitre, peux tu m'expliquer comment font les "embaucheurs" pour vérifier la véracité des contenus de CV si ceux ci n'ont pas les identités des postulants?
RépondreSupprimerEt comme on peut écrire ce que l'on veut sur son CV ,????
Cath37,
RépondreSupprimerCorrigé ! Merci.
Fidel,
On ne vérifie pas en général avant l'entretien. Ni même après d'ailleurs.
Ben oui, mai si on commence son CV anonyme par "salam aleykoum"...
RépondreSupprimerSi un embaucheur reçoit 40 CV, dont, mettons, 10 CV anonymes, il saura que les CV anonymes sont des CV de personnes qui ne s'appellent pas Pierre Dubois. Les Samir Nassaoui verront donc leur CV passer en dessous de la pile pour deux raisons:
RépondreSupprimer1)on préfère les Pierre Dubois
2) ils avancent anonymement, et c'est perçu comme un manque de courage.
Ouais, pas facile, surtout quand on s'appelle Michel Durand, de passer après Pierre Dubois ;)
RépondreSupprimerPlus de CV , recrutement après bilan de compétences, et tests pratiques, sorte de service national de l'embauche ????
Fidel Castor: mais ce serait à vous dégoûter d'être patron !
RépondreSupprimerEn tout cas, cette histoire de CV anonymes me fait bien marrer depuis deux jours, moi…
RépondreSupprimerBien vu Nicolas ! voilà une mesure prônée par ceux qui n'ont jamais fait/subi/assisté à des recrutements à la con.
RépondreSupprimerEt puis ça veut dire quoi ? Que les personnes d'origine africaine doivent cacher leur nom, le renier, en avoir honte ? C'est la victoire du racisme en somme.
RépondreSupprimerLe CV anonyme, soit on le rend obligatoire, soit on oublie. Parce que bien évidemment, si seuls ceux qui ont un nom "différent" s'en servent, ils passent mécaniquement sous la pile.
RépondreSupprimerMaintenant, si tout le monde fait un CV sans mettre son nom, là c'est plus efficace.
Je suis plus proche de l'avis de Père Castor mais, effectivement, si on dit aux patrons qu'ils vont se voir imposer des bonhommes, ils vont faire la tronche.
Mais qu'est-ce que c'est, un consultant ? Un malade bien portant recruté par un cabinets médical ?
RépondreSupprimerSuzanne,
RépondreSupprimerNon, ça c'est pour la lettre de motivation.
Et tous les CV doivent être anonymes dans une boite.
Le Coucou,
Le consultant est le consulté...
Didier,
Avec un tel commentaire, vous n'obtiendrez pas un entretien.
Paul,
Ouais, c'est limite.
Dagrouik,
Bah ! Y'en a toujours qui pensent bien faire...
Fidel,
Oui mais je n'imagine pas un patron embaucher quelqu'un avec qui il n'a pas envie de travailler.
Benjii,
Je les comprends !
Moi aussi, je suis assez sceptique sur cette mesure... C'est comme pour un boulot d’hôtesse d'accueil, il doit y avoir une sacré discrimination, car j'en ai jamais rencontré des grosses et moches...
RépondreSupprimerDétrompe toi ! Mais j'ai bosser dans les sièges centraux d'administrations publiques...
RépondreSupprimer<< Quand le candidat a « moins de 35 ans », on a une fâcheuse tendance à chercher les trous dans le CV et mesurer la fidélité de chaque gugusse à chaque poste (s’il n’est pas fidèle c’est soit qu’il est incompétent soit qu’il n’accorde pas une priorité à son employeur). >>
RépondreSupprimerC'est débile, car aujourd'hui un tel état de fait n'a rien à voir avec une fidélité : d'une part on ne propose plus que des CDD (d'où l'accumulation d'expériences, d'autant plus "variées" qu'il faut bien accepter ce qui passe pour pouvoir manger), d'autre part il faut un certain temps pour arriver à en décrocher un (d'où les trous, qui ne concernent pas que les tire-au-flan). Cette mentalité m'horrifie car elle accentue encore les difficultés qu'ont les jeunes à s'insérer dans le monde du travail par une aggravation continue de la perception des parcours, une sorte d'effet de cliquet irréversible et auto-amplificateur... comment briser cette spirale ?
Quant aux considérations physiques, elles n'excusent pas tout, en particulier parce que de nombreuses professions ne requièrent pas de relations avec la clientèle ou les partenaires ; dans ce cadre, permettre aux personnes concernées (dont beaucoup ne demandent qu'à bosser!) de décrocher un entretien peut conduire les recruteurs à aller au-delà des clichés en constatant de visu l'attitude constructive et la motivation de personnes dont le comportement n'est pas toujours aussi caricatural qu'on se l'imagine trop souvent, mais tout simplement... normal.
Florent,
RépondreSupprimerLe comportement humain n'est pas rationnel. Je te parle d'une fâcheuse tendance, c'est tout.
Quant aux critères physiques, si tu as le choix entre un boudin et un canon, tu prends le canon. C'est humain.
Mais sur le fond, on est d'accord v