06 juillet 2012

On ne sait pas ce que c'est que l'amitié

« On ne sait pas ce que c'est que l'amitié. On n'a dit que des sottises là-dessus. ». Ainsi débute l’hymne à l’amitié de Jules Romains. On a parfois de curieux sujets de conversation, dans les commentaires des billets de blogs. Ca se passe chez Jacques Etienne et des commentateurs (vous pouvez lire, c’est à partir du premier commentaire) essaient de définir ce qu’est l’amitié.

Je suis d’accord avec Jules Romain.

Je vais citer des extraits ce certains des commentaires en question et les commenter bêtement (hors du contexte).

« Je préfère nettement la compagnie d'amis choisis, de cette amitié qui est née d'une longue fréquentation, fondée sur des liens véritables plutôt que cette camaraderie factice de piliers de troquets. »

La phrase est contradictoire. On ne choisit pas ses amis puisqu’ils viennent d’une longue fréquentation…

« Il ne choisi pas ses amis... Quelle inconséquence chez cet homme ! » Un autre lascar, qui parle de moi… Ben non, j’ai deux ou trois amis de 35 ans, je n’ai jamais choisi d’être ami avec eux, ça c’est fait tout seul.

« Les vrais amis se comptent sur les doigts d'une main dans la vie d'un homme. » Ca serait vrai si on arrivait à savoir ce qu’est un ami. Ou alors j’ai beaucoup de doigts à chaque main.

« L'amitié est un sentiment rare comparable à l'amour. » Heu… Je n’éprouve aucun sentiment pour les lascars que je citais, mes amis d’enfance. Et pourtant, on est de vrais amis. Si je les appelle maintenant pour leur dire que j’ai besoin d’eux à 22 heures ce soir, ils vont venir de Bretagne sans se poser la moindre question. Et vice versa. Ils sont là quand je suis dans la merde et je suis là quand ils sont dans la merde. Et surtout quand ils sont dans l’erreur.

A défaut de citer les commentaires, je vais citer Wikipedia et la fin de l’introduction de la page relative à l’amitié. « Pour Hannah Arendt notamment, le penchant à voir l'amitié comme un sentiment intime et exclusif reflète l'aliénation du monde moderne; l'amitié serait en fait synonyme de la philanthropia grecque : l'inclinaison au vivre-ensemble. »

Tels que vous me voyez, là, je suis plié de rire. Il faut dire que Jacques Etienne est un réactionnaire, tout comme ses commentateurs (sauf moi)… « le penchant à voir l'amitié comme un sentiment intime et exclusif reflète l'aliénation du monde moderne » Mon Dieu ! Il faut bien être réac aliéné au monde moderne pour chercher à définir l’amitié… L’amitié serait en plus l’inclinaison au « vivre-ensemble ».

Ce n’est pas toujours facile d’être réactionnaire.

Il existe un tas de littérature à propos de l’amitié. Le réactionnaire fâché par mes propos pourrait en relire une grande partie pour se donner raison en oubliant que c’est probablement Jules Romains qui a raison. « On ne sait pas ce que c'est que l'amitié. On n'a dit que des sottises là-dessus. »

Je n’ai pas l’habitude de dire des sottises, désolé. Je dis souvent des conneries par contre. Alors je vais prendre un exemple. Quelqu’un que j’ai connu au bistro, il y a une douzaine d’années, que je vois maintenant une ou deux fois par semaine. Je ne l’ai jamais vue hors d’un bistro, d’ailleurs. Nous n’avons rien en commun et il est très rare que nous discutions ensemble.

Vous la « connaissez ». C’est Odette, un des personnages de mes blogs. J’en ai parlé à deux principales reprises. La dernière, c’était pour la mort de son compagnon, Henri, l’an dernier.

Il y a quatre ou cinq ans, Henri est tombé malade et ils n’avaient plus de rentrée financière. D’un autre côté, je n’avais personne pour m’occuper de mon linge, Jim m’ayant fait faux bon. Nous avons conclu un habile deal…

Quand Henri est mort, elle s'est naturellement tournée vers moi pour un "soutien administratif et affectif" (alors que je suis un gros con bourru mais assez paternaliste). Dans son milieu de manouches (son conjoint en était un) et de portugais, elle était perdue et n'arrivais pas à avoir de bons conseils. Je lui ai servi de « seul ami avec les pieds sur terre ». Tonnégrande n’était pas loin. Et les copains de blog non plus, d’ailleurs. Suite à mon billet, je me souviens en particulier de précieux conseils de Lady Apo. Bref…

Je ne pouvais pas aller aux obsèques, j’y ai lâchement envoyé le vieux Jacques et Marcel Le Fiacre. J’ai aidé Odette comme j’ai pu.

Depuis, elle vient plusieurs fois par semaine à la Comète (mais je n’y suis pas toujours), notamment pour prendre mon linge et le redéposer quand il est repassé.

On ne s’échange pas trois mots, à part des nouvelles réciproques et celles des relations communes. Tiens ! Je ne l’ai pas vue depuis la mort d’Abdel. Elle ne doit pas être au courant… Je suppose que je vais la voir, ce soir. Elle voudra savoir si je vais lui filer du linge, dimanche.

Nous avons une vraie complicité, elle et moi (elle et Tonnégrande aussi, peut-être). J’arrive à la faire rire avec ses propres malheurs. Par contre, nous n’avons quasiment rien en commun. Juste le plaisir d’être ensemble, deux ou trois fois un quart d’heure par semaine.

Sommes-nous des amis ?

S’il fallait écouter les définitions de mes copains réactionnaires, la réponse serait nécessairement négative. Nous avons des caractéristiques d’amis (la capacité à s’aider réciproquement sans réfléchir au besoin de le faire) mais il ne nous viendrait pas l’idée d’écluser ensemble un bon malt devant la cheminée…

Je m’en fous.

Il n’y a qu’une personne qui, quand elle rentre dans un bistro, provoque chez moi un phénomène étrange : je souris bêtement et j’interromps ma conversation pour aller lui faire la bise. Les autres n’ont qu’à se déplacer, bordel, quand ils rentrent : j’étais la avant eux. Pas elle, je me déplace.

C’est Odette.

Jules Romains a diablement raison. « On ne sait pas ce que c'est que l'amitié. ».

Il aurait pu ajouter qu’on s’en fout un peu, cette feignasse.

18 commentaires:

  1. Si je devais définir l'amitié, je dirais qu'un ami est quelqu'un en compagnie de qui on apprécie de s'ennuyer.

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    1. Ou alors avec qui on ne s'ennuie jamais même dans le silence.

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    2. Oui.
      Tout celà est vrai mais pas suffisant.
      Ce n'est que la conséquence de cette fameuse alchimie dont parlait un commentateur chez J-E.
      Une alchimie que l'on aurait du mal à axpliquer du reste.

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    3. Mais non. Il ne faut pas chercher d'explication rationnelle d'autant que l'alchimie n'est pas rationnelle.

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  2. Oui, tu ne choisis pas tes amis: c'est une rencontre et ce qui se passe est aussi rationnel que quand tu aimes quelqu'un d'amour.
    Aucune réelle explication.
    Comme tu dis, la personne est là pour toi et tu es là pour elle, quelque soit la distance ou les années.
    Rien d'autre à dire. tout est dit

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  3. Les amitiés et les amours, ça se passe d'inconscient à inconscient. On a nos têtes, voilà.
    Et puis chacun aime à sa manière, en restant sauvage ou totalement cul et chemise ...ça ne regarde que soit,personne n'a à s'en faire juge.
    Bz

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  4. J'ai pas dit merci, pour le lien.
    Bz

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  5. Joli billet :) Après tout il y a autant de sortes d'amitiés que de relations entre les gens... On passe parfois trop de temps à se prendre la tête, en zappant la vie, la vraie.

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    1. Merci ! T'as raison, on passe trop de temps à théoriser en oubliant ce qu'est la vraie.

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  6. "parce que c'était lui, parce que c'était moi ..."
    ça suffit comme explication, non ?

    Quant à toi, horrible paternaliste, tu n'es pas l'ami d'Odette, tu es son employeur ! (j'espère que tu la paies bien, au moins ?)

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  7. Très beau billet auquel le solitaire que je suis aurait bien du mal à ajouter quoi que ce soit.

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    1. Merci. On est tous plus ou moins solitaires. Par exemple, j'adore aller tout seul au bistro et y rester des heures à ne rien faire.

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