C'est un type à qui j'ai toujours donné 55 ans. Ça fait une
quinzaine d'années que je le connais. Grand, mince, les cheveux gris un peu
long. La barge, grise, aussi, assez longue mais peu touffue. Toujours habillé
pareil : pantalon et veste en jean délavé. Son Loock lui donnait un aspect
dégueulasse mais il ne l'était pas. Il y a des gens comme ça.
Tous les soirs, il venait prendre un ou deux cafés au
comptoir de la Comète. Au fil du temps, nous l'a avions vaguement intégré au
groupe, discutant un peu avec lui. Je me suis toujours demandé si on n'était
pas sa seule "vie sociale". Peut-être avait-il un boulot ?
Ne jamais poser de question aux marginaux, dans les bistros.
Ils ne viennent pas pour ça. Il nous faisait un peu pitié. Ce mot reviendra
encore deux fois dans ce billet. Comme s’il était vraiment seul, dépressif, …
Un jour, en 2007, je suppose (La Comète à changé de patron à
la fin de l'année), il est arrivé de bonne humeur et a commandé une bière, ce
que nous ne l'avions jamais vu faire. Au bout de deux ou trois, il était saoul
comme un cochon et faisait n'importe quoi. Il faisait penser à un de ces types
qui boit de l'alcool alors qu'il prend des antidépresseurs qui le lui
interdisent. C'est une image que j'ai en tête. Je ne sais pas pourquoi. Jean
avait alors fait ce qu'il fallait faire. Il l'a foutu dehors. Les moralistes
nous expliqueront que nous aurions du appeler les pompiers ou le SAMU mais ce
n'est jamais possible. On n’a pas le droit de rentrer dans la vie des gens. On
ne peut pas, nous autres, simples citoyens, forcer les gens à soigner. On ne
peut que vérifier qu’il peut marcher et rentrer chez lui…
Il a probablement eu honte - c'est idiot, il n'y a pas de
honte à prendre une cuite - et n'ai jamais revenu dans le bistro. Comme je le
croisais parfois ailleurs, je n'étais pas inquiet. Nous avions pitié de lui
quand il passait dans le bistro…
Je l’avais oublié puis je l’ai revu, il y a quelques
semaines, nous avons discuté un peu mais de choses idiotes, des travaux dans le
quartier…
En 2008, la Comète a été entièrement refaite. Seul le
comptoir a été conservé.
Mardi, le gars est revenu. Au premier regard, j’ai compris
qu’il avait encore bu. Guillaume, qui ne bosse là que depuis deux ou trois
semaines, a regardé ce lascar, se demandant qui était ce grand maigre à l’allure
dégueulasse. J’ai regardé Guillaume droit dans les yeux, les écarquillant. Il a
compris le message. Le type s’est installé au comptoir et a insisté pour avoir
une bière. Guillaume a refusé de lui servir un verre puis m'a regardé. D’un
geste, je lui ai fait comprendre qu’il avait raison.
Alors, le gugusse est venu vers moi. J’étais la seule
personne qu’il connaissait, il était perdu. Même le bistro avait totalement
changé. Il m’a demandé de dire au serveur qu’il pouvait lui servir une bière. Je
ne pouvais pas le faire. Il n’aurait pas supporté le moindre verre d’alcool. Je
lui ai proposé de boire autre chose. Il n’a pas voulu. Il s’est remis dans son
coin du comptoir et a insisté, sans crier, en parlant doucement, … Guillaume ne
pouvait pas céder.
Ca a duré quelques minutes puis Guillaume a été obligé de le
virer, par la peau du cul. Le type s’est retrouvé tout seul, dehors, regardant
partout. Il nous a dit qu’il allait appeler la police, qu’on n’avait pas le
droit de refuser de servir un client…
Il a sorti son téléphone et a téléphoné ou fait semblant.
Il a attendu quelques minutes, debout, tout grand, tout
maigre, tout crado, toujours à 55 ans, devant le bistro, puis il a repris sa
route, le long de la Nationale.
Guillaume se sentait coupable et comme toujours, dans ces
cas, on ne peut résister à l’envie de se justifier, d'expliquer aux quelques clients qui étaient là qu'il n'avait pas eu le choix, qu'il ne pouvait pas faire autre chose. C’est la vie. J’ai haussé
les épaules et dit à Guillaume de laisser tomber. 26 ans. Il débute dans le
métier et n’avait bossé que dans des bars de jeunes, à Paris. C’est la vie.
Je suis sorti. J’ai regardé le type qui s’éloignait sur ces
très larges trottoirs qu’on a maintenant. La nuit était tombée. Et j’ai retrouvé cette pitié de cette
soirée, en 2007.
Elle est un peu triste ton histoire aujourd'hui.
RépondreSupprimerDans les bistrots (et pas que là d'ailleurs) on voit chaque jour; de plus en plus il me semble; arriver des gens un peu détruits, un peu à côté de tout, pas seulement des marginaux, pas seulement des sans boulot, juste des gens cassés. Je les observe, leur parle un peu aussi, parce que même si ce ne sont que quelques échanges de comptoir, c'est bien le moins que je puisse faire, juste parce que je sais ce que c'est que d'avoir été un jour au bord du précipice.
Bah. On ne peut pas faire grand chose.
Supprimer"Pitié" je ne sais pas. Peut-être que l'on évite parfois ce qui peut nous renvoyer aussi à « nous-même ». Quelque part... nos propres peurs ?
RépondreSupprimerNon. Je ne crois pas.
Supprimer...En tout cas... merci pour vos billets. Belle écriture qui touche.
SupprimerNicolas t'as aucun style. Aucune classe.
SupprimerUne pure merde.
Je m'adapte aux commentateurs.
SupprimerT'es pas Jean Moulin ça je le savais...
Supprimert'as des super fans dis donc !
SupprimerJoli billet que devraient lire nos bistrotiers (?)
RépondreSupprimerà Noel dernier il a viré un mec bourré qui s'est affalé dans la rue glacée et s'est pissé dessus , j'ai du appeler les pompiers. l'autre connard a pas bougé, juste il l' a insulté apres l'avoir bourré et encaissé le pognon.
Ouais. Il y a des patrons un peu cons.
SupprimerOuais, la prochaine fois tu viens direct à la maison sans passer les voir ;)
SupprimerTu as de la bière pression ?
SupprimerSi c'est juste pour les cadavres je gererai, sinon un fut de 5 litres desuperU
Supprimerou par mon voisin la tireuse et un fut de 25 l héhé!!!!
Ça ira.
RépondreSupprimerTu ne te serais pas trompé de blog ?
RépondreSupprimerNon. Les histoires glauques je les raconte ici.
SupprimerEn tout cas, tu as fait ce que tu as estimé être le moins pire pour lui.
RépondreSupprimerSinon, est-ce que ce fut une histoire sans paroles ou presque ?
Inconnu en jeans, si tu nous lis, salut à toi.
Alors? Il est revenu ou pas?
RépondreSupprimer(on attend la suite).
Non.
Supprimerça me rappelle le type qui a dormi dans sa voiture en bas de chez moi cet été, pendant plus d'un mois. Je pense qu'il était venu faire un chantier de peinture dans le coin. C'était l'époque où il a fait si chaud ... Sa bagnole était garée en plein soleil. Je pense qu'il n'avait plus d'essence, car il ne l'a pas déplacée. Il buvait des bières et se lavait avec des bouteilles d'eau ... Je pense qu'il avait peur car il s'enfermait dans sa bagnole, puis certaines nuits où tout le monde avait du mal à dormir, j'ai pu remarquer qu'il sortait, marchait un peu, s'enfermait à nouveau ...il devait crever de chaud ... Il était d'une maigreur ... Il y a des gens qui souffrent beaucoup et qui font beaucoup d'efforts pour survivre. Cette misère, c'est insupportable.
RépondreSupprimerNon. On s'y fait. C'est mal mais sinon on ne vivrait pas.
SupprimerSouci avec la page "concours de gros", non ?
RépondreSupprimerCdt
Thomas
Oui. Désolé.
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