En passant
chez mon
confrère Authueil, je suis tombé sur rapport (
pdf)
de la Mission de lutte contre l’inflation normative fait notamment par mon
camarade Monseigneur Alain Lambert, seigneur de Twitter (mais vil libéral), et Jean-Claude Boulard, chef des rillettes (et socialo).
Figurez-vous
que je vous en recommande la lecture (je vais vous aider) ! Non
seulement il est parfaitement lisible (contrairement à beaucoup de rapports de
ce type), mais en plus, il est drôle, illustré par Plantu, avec des exemples
comiques…
Et surtout, il est édifiant. Et je viens d’en lire un
quart (sur 116 pages) en étant passionné.
Je vous livre un extrait du premier chapitre pour vous
permettre de juger le ton : « Le stock est
évalué à 400 000 normes. Il s’est constitué au fil du temps par addition, sédimentation,
superposition, comme les couches d’une géologie juridique. La seule nuit d’abrogation
s’est déroulée le 4 août 1789... »
La partie 1 porte sur l’allègement des stocks de normes.
Sa première section porte sur l’interprétation des normes.
Ne lisez pas tout, ça va vous saouler. Foncez directement à
la page 18 avec l’annexe qui décrit des exemples de ce que peuvent provoquer l’application
« aveugle » de certaines normes. Je vous recopie le premier : « La découverte sur le tracé projeté pour l'autoroute A28 du
scarabée Pique-Prune protégé par la Convention de Berne a conduit à retarder
pendant dix ans un chantier jusqu'à ce que l'on découvre que, très répandu dans
le département de la Sarthe, la réalisation de l'autoroute ne le menaçait nullement.
Dix ans qui ont conduit à prendre
trois mesures décisives :
- quelques fûts d'arbres à cavités
où il vivait ont été transférés sur des sites spécialement aménagés
- le concessionnaire a pris en
charge un suivi scientifique du scarabée, confié à l'Office du génie écologique.
- plusieurs scarabées pique-prune
ont été équipés de microémetteurs qui permettent d’étudier leurs déplacements. »
La deuxième section est consacrée aux normes que l’on
pourrait abroger.
A partir de la page 22, on a quelques exemples. Le premier
peut difficilement être résumé (lisez, je vous dis !). Il porte sur la loi
qui impose aux cantines scolaires d’avoir des menus équilibrés… Elle se traduit
par des groupes de travail, des études, des recommandations (du genre : un
adolescent peut manger un œuf ou un œuf et demi)… Alors qu’il suffirait de dire
dans la loi que : « la collectivité responsable
du restaurant met en œuvre des menus équilibrés, diversifiés, adaptés à l’âge
des consommateurs et faisant une place autant que faire se peut aux produits
locaux rendus disponibles par les circuits courts. »
Le deuxième exemple porte sur l’aération des locaux recevant
du public du public. Trois décrets s’enchaînent, tout est prévu, y compris la
vérification que les fenêtres ont bien des boutons pour les ouvrir alors qu’il
suffirait d’écrire que les responsable « veillent
à ce que les agents affectés à la surveillance desdits établissements les aèrent
régulièrement en ouvrant les fenêtres. »
Le troisième exemple porte sur des décrets qui imposent une
mise aux normes « antisismiques » des bâtiments y compris dans des
zones où il n’y a strictement aucun risque (cela coûte par exemple 160 000€
pour un nouveau collègue au Mans).
La troisième
section porte sur les normes que l’on pourrait adapter ou alléger.
Rendez-vous page 29 où les exemples sont truculents. Les toilettes
des arbitres de foot doivent être aux normes pour les « personnes à
mobilité réduite ». On a souvent vu des arbitres en chaises roulantes ou
aveugles… Il y a plein de trucs comme ça qui sont rendus obligatoires par la
loi. Il suffirait de changer la loi en disant : « Un décret en Conseil d’État pourra prendre des mesures d’adaptation
de la présente loi sous réserve que celles-ci soient compatibles avec les
objectifs poursuivis par la loi. »
Beaucoup de domaines sont étudiés. Par exemple, le taux d’encadrement
des enfants dans les crèches est beaucoup plus important en France que dans d’autres
pays. Le coût des crèches est donc beaucoup plus cher en France qu’ailleurs
alors que tous les gouvernements cherchent à développer les crèches. « Partant du constat que dans les autres pays d’Europe
appliquant des taux d’encadrement moins contraignants, ces taux n’ont posé aucun
problème de qualité et de sécurité, il est proposé de rouvrir la discussion sur
l'allègement. Cette proposition se heurtera à l'hostilité des partenaires
sociaux, elle n'aura donc pas de suite, mais elle mérite de poser le problème
des coûts comme source de frein du développement des services publics. »
Il est impossible de faire une maison avec deux
appartements, un au rez-de-chaussée et un au premier car elle serait considérée
comme un immeuble collectif et un ascenseur serait obligatoire pour les
Personnes à Mobilité Réduites…
La quatrième section « propose » de revisiter
les lois.
Elle n’a pas d’exemple cocasse mais décrit un phénomène :
on s’aperçoit que des lois sont mauvaises mais on ne prend pas le temps de les
corriger ou on n’ose pas…
Je vais néanmoins citer une partie de cette section pour
vous montrer qu’il faut tout lire, uniquement pour rigoler un peu, à propos de
l’abrogation de lois obsolètes : « Nous
suggérons au Parlement de se livrer régulièrement à cet exercice en séance de
nuit par référence à celle du 4 août qui fut la nuit de toutes les abrogations. »
La cinquième section est consacrée aux normes qui s’appliquent
aux clubs de sport, dont les équipements sont souvent financés par les
collectivités locales.
Je cite un seul exemple, à propos des terrains de baskets :
« les villes de Lille et Le Mans donnent des
exemples de variation dont l’une des plus emblématiques est, en basket, la règle
dite du panier à trois points qui tiré hier à 3.25 m devra être tiré 3.75m, ce
qui entraîne des modifications coûteuses des parquets. » L’exemple
m’est cher puisque mon père était responsable des terrains de basket de la
région Bretagne (il était président de je ne sais plus quel truc), donc j’ai
passé une partie de mon enfance à coller du ruban adhésif coloré sur des
parquets avec lui…
La sixième section est sûrement intéressante et porte sur
les schémas et les zonages. Jetez-y un œil pour voir le nombre de schémas directeurs,
de schémas régionaux, de zones d’activité machin, de zones d’éducation bidule, …
qui existent !
La septième section porte sur le déclassement.
Des textes de lois contiennent des mesures qui devraient être
de l’ordre réglementaire. Il y a beaucoup de travail.
La huitième section est consacrée aux prescripteurs et
aux payeurs.
En deux mots : l’Etat impose des conneries, les
collectivités payent. Des coups de pied au cul se perdent.
La neuvième section est consacrée à l’empilement des
textes Nationaux et Européens.
Je résume : il y a des trucs qui sont votés au niveau
Européen mais la loi française en fait plus ce qui emmerde tout le monde et ne
sert à rien.
Il fallait une dixième section. Ils l’ont faite. Elle est
très bien aussi mais mon billet s’étend. Je vais donc sauter la suite, pourtant
captivante avec des exemples et des propositions.
Ca nous amène page 72 à la deuxième partie qui, vu le
titre, devrait nous montrer comment maîtriser le bordel.
Il est d’abord rappelé que le problème n’est pas nouveau et
que les précédents rapports (Gallois, Attali, …) n’ont jamais été suivis d’effets.
« Or, comme le soulignait la Commission pour la
libération de la croissance française dans son rapport rendu en janvier 2008, «
les « coûts » engendrés par la complexité normative ont ainsi été évalués par
la Commission européenne à 3 % du PIB européen, tandis que l’OCDE les chiffres à
3-4 % du PIB selon les pays. Pour la France, ce coût est estimé à 60 milliards
d’euros. »
Ah ! Moscovici qui cherche tout le temps des milliards
va être content. Cahuzac aussi mais à titre posthume.
C’est bien, il y a des résumés, je n’ai pas besoin de tout
lire : «
-
la
norme est un sujet sociétal, politique et économique avant d’être un sujet de
droit ;
-
traiter
de l’intempérance normative implique donc de considérer le sujet sous un angle
qui ne se limite pas à l’approche juridique ;
-
le traitement
de l’intempérance normative est la condition nécessaire au rétablissement de
notre compétitivité économique autant que de nos finances publique. »
La page 77 est passionnante. C’est philosophique. Il est
très démocratique de faire passer des normes par la loi, donc au Parlement mais
ce dernier ce trouve surchargé de connerie et la démocratie prend un coup dans
la gueule. Ceci ne concerne pas seulement les débats sur les votes des lois
mais de leurs évolutions ultérieures.
Le résumé : «
-
le sens
de la structuration hiérarchique de notre droit a été perdu de vue ;
-
l’erreur
majeure consiste à penser que seul le niveau de norme quasi maximal (loi) assorti
de la dimension la plus contraignante possible (obligation) permettent de
garantir l’atteinte des résultats souhaités ;
-
il en résulte
une rigidité excessive du corpus juridique qui alimente la défiance du citoyen
envers le droit et en empêche les évolutions nécessaires. »
Lisez la suite pour moi, je fatigue. Nous sommes environ
page 80. Quand je pense aux parlementaires et assistants parlementaires qui
vont devoir lire tout. Au fait, je cite Authueil, au début. Lisez son analyse.
Et alors ?
Quand François Hollande a parlé de légiférer par ordonnance,
c’était pour enlever les conneries telles que je cite en exemple dans la loi.
Des joyeuses andouilles ont gueulé pour l’utilisation de
procédés antidémocratiques mais tant que le Parlement sera occupé à faire des
conneries, il ne fera pas autre chose et, pendant ce temps, ça nous coûte la
peau des fesses.
Bravo à Alain Lambert et à Jean-Claude Boulard qui ont réussi à me faire sourire avec ce genre de rapport. Je vais pouvoir leur refiler les clés de mon blog !