Mon cher Jean-Marc,
Votre gouvernement traverse actuelle une grosse tempête. Il
vous faut tenir la barre et continuer. Pour amortir un choc, vous allez
annoncer plusieurs éléments visant à moraliser la vie politique avec, en
particulier la publication du patrimoine de chaque Ministre, mais il faut
probablement profiter de cette histoire pour aller beaucoup plus loin.
Je suppose que vous devez en recevoir un paquet de lettres,
ouvertes ou non. Moi, j’aime bien en faire à l’occasion, ça change, plutôt
que de faire un bête billet de blog pour gueuler.
Pensez-vous réellement que la situation va s'améliorer parce
qu'on va connaître le patrimoine qu'auront bien voulu déclarer vos ministres ?
Vous rendez-vous compte que la suspicion contre les plus riches d'entre eux va
devenir de plus en plus lourde ?
La presse répercute bien cette information mais le doute va
continuer à s'installer. Votre prédécesseur a parlé à la télévision hier soir.
Il n'a rien trouvé de mieux que de déclarer son patrimoine. Différentes
personnalités vont le faire. Des journaux vont compiler tout ça. On va être
inondés de chiffres. Ceux qui ne diffuseront pas leur patrimoine seront
épinglés.
Pourquoi le diffuser ? Une déclaration au Conseil d'Etat (ou
autre machin) n'aurait pas suffit ?
J'espère que les autres mesures seront très fortes mais
qu'elles n'empièteront pas sur la vie des ministres. Je lisais l'autre jour une
andouille qui exigeait que chaque ministre soit l'objet d'une enquête en bonne
et due forme... Ça serait quoi cette démocratie où les ministres sont sous la
coupe des services qu'ils doivent diriger ?
Cette histoire a néanmoins un intérêt : montrer quelques
divisions à droite. Certains jouent le jeu et trouvent normal la publication
des patrimoines. Jean-François
Copé, par contre, fait de l’opposition de principe, dénonçant une mesure
démagogique. Mais il propose « que chaque chef
de gouvernement, dès qu’il installe un gouvernement, demande aux autorités helvétiques
que lui soit communiqué un certificat par lequel aucun des membres du
gouvernement n’a de compte en Suisse ». Comme si ce n’était pas de
la démagogie ! Comme si le Suisse était le seul « paradis fiscal »…
Vous voyez, mon cher Jean-Marc, votre opération a moins pour
mérite de monter qu’on a la droite la plus bête du monde. Alors qu’ils
pourraient s’unir pour taper sur la gauche ou, au contraire, montrer leur
responsabilité politique, ils continuent à s’opposer, entre fillonistes
et copéistes : « les fillonistes
rappellent aussi en coulisses qu'en décembre 2010, Jean-François Copé, avocat
de profession, et Christian Jacob avaient milité pour que les députés qui
avaient sciemment menti sur leur patrimoine ne soient pas incriminés pénalement…
Face à la bronca que cette proposition avait suscitée, Copé et Jacob avaient
alors dû faire marche arrière. »
Par delà ces bisbilles, peut-être faudra-t-il aller plus
loin ?
Jérôme Cahuzac a commis des actes probablement hautement répréhensibles,
au moins moralement. Derrière toutes les mesures que vous mettrez en place, c’est
peut-être le
rapport à l’argent de l’homme politique qu’il faut revoir et j’espère que
la droite et la gauche sauront marcher la main dans la main, pour redonner
confiance à la politique, sinon l’UMP et le PS sont morts.
L’histoire de Jérôme Cahuzac est « exemplaire » :
il n’a pas choisi de faire de la politique pour gagner de l’argent mais trouve
normal d’en avoir et de le dissimuler. Les élus français trouvent normal de
bien vivre. Certains ministres ont des appartements de fonction gigantesque et
des avantages incroyables. Les députés, si leur rémunération n’est pas
exceptionnelle pour leur « CDD » exceptionnel, touchent de copieuses
indemnités.
Les politiciens trouvent normal de faire de l’argent.
Nicolas Sarkozy avait déclaré qu’il souhaitait faire du fric après son mandat. Des
élus cumulent les postes pour arrondir leurs fins de mois. Il y avait un débat,
hier, pour savoir si on pouvait cumuler
un poste de député et un boulot dans le privé. La France n’est qu’en 22ème
position au monde des pays les moins corrompus…
« Si les élus français
entretiennent un rapport si compliqué à l'argent, ce n'est pas seulement parce
qu'ils sont français. C'est aussi pour une raison historique. Au cours des siècles
de monarchie qu'a connus le pays, l'apparat du pouvoir a semblé de plus en plus
indispensable à son exercice. Après la Révolution, les palais royaux n'ont
disparu que pour céder la place aux palais républicains. Les décisions
nationales - et locales -se prennent sous les dorures ou à défaut dans de
somptueux bâtiments modernes. Les élus se doivent de recevoir avec des mets
fins et du bon vin. Ce luxe apparemment nécessaire a nourri un
antiparlementarisme vivace. »
Ainsi, Jean-Marc, une des premières actions de votre
Gouvernement a été de baisser vos rémunérations. C’est un premier pas. Mais s’il
doit y avoir moralisation de la vie politique, il faut aller plus loin. Il ne s’agit
bien sûr pas de continuer cette baisse mais de créer un statut de l’élu ou je
ne sais quoi qui permettent de garantir qu’ils ne « baignent pas dedans ».
L’affaire Cahuzac a jeté un trouble. Néanmoins, il faut rappeler que ce n’est
pas en tant que politicien qu’il aurait fait des choses illégales. En tant que
politicien, sa faute est purement morale. Pourtant, peut-être que cette
histoire marquera aussi la fin de la
gauche morale.
Dans son dernier billet de blog, Julien Dray évoque cette
fin. « Si l’on doit tirer une leçon de la
semaine écoulée c’est bien que la gauche néolibérale, que certains ont nommé « gauche
morale », est morte. La « gauche morale » ? C’est ce courant politique qui
est né à mesure que le libéralisme était accepté par la gauche et qui a
substitué au combat social et à l’émancipation une logique moralisante et
compassionnelle, un combat pour des « valeurs » et une philosophie au final
assez conservatrice. »
« Cette gauche c’était un
supplément d’âme au système capitaliste, une clause compassionnelle ou un
adjuvant visant à faire passer une conversion jugée quasi-inéluctable au néolibéralisme.
De fait, cette gauche là a, peu à peu, substitué le sociétal au social et brisé
une synthèse qui était le fil rouge de la gauche française. Elle a soumis la
gauche à un ordre des choses historiquement combattu par le socialisme français. »
Julien Dray estime que, « en
France, c’est la rupture nécessaire avec un Vème République qui n’en finit plus
d’agonir qu’il faut organiser. » et propose donc d’aller vers la
VIème.
C’était le sujet du billet de mon ami Politeeks, hier. Il jette les
bases d’une nouvelle Constitution. Lisez-le donc. Je suis d’accord avec tout ce
qu’il dit (sauf les départements et le nombre d’élus mais ce n’est qu’annexe et
nous avons un Kremlin des Blogs, ce soir, pour en débattre).
Ainsi, cher Jean-Marc, je ne doute pas que vous arriverez à
sortir de la crise actuelle ne serait-ce parce qu'on n'a pas le choix et qu'une partie de l'opposition est à l'ouest... En fait, la seule opposition audible est à notre gauche et elle commence à lasser...
Profitez-en !
Bien cordialement,
Nicolas
Oh, ces ridicules déclarations de patrimoine...
RépondreSupprimerOn se croirait dans une salle de classe: un instituteur pince un enfant en flagrant délit de vol. Moyennant quoi, il demande à tous les autres de retourner leurs poches.
Il y a un peu de ça. Avec en plus les mômes des classes voisines qui veulent retourner les leurs...
SupprimerJe ne dirai pas que l'opposition de gauche commence à lasser pour cause de grandiloquence. C'est seulement que ceux qui discourent ne vont pas assez loin : en fait ils ne sont pas assez hardis sur le fond, en revanche la forme ne me dérange aucunement.
RépondreSupprimerCe ne sont pas les bases d'une nouvelle Constitution qu'il faut mettre urgemment en place, mais celles d'une Constituante, qui décidera collectivement d'une nouvelle donne. Nul doute, la Constitution nouvelle aura peu de rapports avec le texte actuel, en grande partie écrit par Michel Debré pour une monarchie parlementaire à usage unique. Elle a tout de même 55 ans !
Ceci dit, rien de comparable avec la constitution britannique, qui à quelques jours près annonce ses 798 ans.
Je ne crois pas à une constituante...
Supprimer"un Vème République qui n’en finit plus d’agonir"
RépondreSupprimerÇa ne serait pas plutôt d'agoniser qu'elle ne finit pas ?
Ah oui, tiens !
SupprimerBonjour
RépondreSupprimerBillet intéressant. Mais pour ce que dit J. Dray sur la fin de la « gauche morale », j’ai des doutes …
Pour moi, une loi sur la moralisation de la vie politique ne mènera pas bien loin. Les politiques sont trop velléitaires sur ces sujets liés au pouvoir et à l’argent. cf Financement des partis et Cumul des mandats. Je ne dis pas « Tous pourris ! ». Ou disons pas plus que nous tous, mais très tentés et depuis trop longtemps durant leurs multiples mandats. Et dans une trompeuse impunité … Perte de repères.
La solution serait de véritables contre-pouvoirs : des médias indépendants, des juges avec une vraie puissance d’investigation, etc …
La bipolarisation de la vie politique est aussi une partie de problème. Je connais trop d’élus locaux (socialistes en l’occurrence, issus de la classe moyenne pour la plupart) qui se sont embourgeoisés, car élus quasiment à vie. Et cela attire aussi des personnes qui ont déjà de l’argent, mais veulent en plus le pouvoir. Et disent que la lutte des classes n’existe plus.
Cdt
Thomas
On est d'accord.
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