En salle

14 mai 2013

Du rapport Lescure à la licence globale ?

Le rapport Lescure fait polémique, c’est le moins que l’on puisse dire. A mon avis, l’accent est trop mis sur la lutte contre le piratage et cette nouvelle taxe alors qu’il contient un tas de propositions pour tenir compte des mutations de la société et de ce que l’on appelle l’économie numérique, ce qui nous amène tout droit vers la licence globale, cette espèce de marronnier, déjà refusé deux fois par l’Assemblée Nationale, probablement sous la pression de lobbies divers.

Il faut voir ce que sera internet dans deux ou trois ans : nous ne téléchargerons plus d’œuvres, nous les utiliserons comme nous regarderons actuellement des vidéos dans Dailymotion ou Youtube, c'est-à-dire en streaming. Nous ne procèderons plus à l’acquisition d’œuvres nous aurons une licence pour les regarder ou les écouter en ligne. Il faut donc trouver un système pour rémunérer les auteurs.

Actuellement, il y en a deux principaux (pour ce qui nous concerne) : la taxe pour la copie privée et le fruit de la vente d’œuvres. La taxe sur la copie privée, par exemple, a été créée en 1985 et s’appliquait aux bandes magnétiques vierges pour rémunérer les auteurs. Progressivement, elle a été étendue aux autres supports permettant d’avoir des copies privées, les CD et les DVD, puis tout les machins permettant de conserver un morceau de musique, tels que les iPod, les smartphones, … Avec l’avènement du « streaming », cette notion de copie privée pourrait disparaître. Il n’y aura plus de support de stockage à taxer… Il faut trouver autre chose pour rémunérer ceux qui créent les « œuvres ».

Dans le temps, les disques, livres, vidéos, … correspondaient à un support physique. L’œuvre était une assimilée à une cassette, un bouquin,… On avait un support sur une étagère. On pouvait donner ou prêter ce support à un tiers. Maintenant que la diffusion est numérique, on ne peut plus. C'est ballot, mais le monde a changé. Et encore ! La notion même de diffusion va disparaître. On va s’échanger des liens vers des morceaux de musique, des livres, …

A force de vouloir traiter les sujets à l'envers au nom de la sauvegarde des droits d'auteur ou de l'exception culturelle, on arrive à oublier la base. Le rapport Lescure ne propose pas la suppression d'Hadopi mais son remplacement par un autre truc mais en fin de compte, c'est votre opérateur qui va vous surveiller, jouant ainsi à la police privée. Il faudrait supprimer tous ces dispositifs. Dans la mesure où vous pourriez profiter des œuvres en ligne, la notion de piratage n’existe plus.

Avant même la fausse suppression de Hadopi, ce qui ressort en premier du rapport est la taxe sur smartphones et tablettes. Le sujet semble abordé par le mauvais côté. Nous avons des géants américains de l'informatique qui font du chiffre d'affaire en France tout en étant très peu taxés. En 2015, la TVA sur les œuvres (et tout le commerce électronique me semble-t-il) sera payée dans le pays du client, ce qui fait un premier pas. Il n’empêche que ces grosses boites (Google, Apple, Amazon…) font du chiffre d’affaire chez nous sans masse salariale. Et les mêmes boites vendent aussi des supports, smartphones, tablettes, liseuses, …

Le modèle économique de tous ces acteurs comme de ceux de la production d’œuvres n'est pas en danger. Ils font des profits colossaux. Vendre un livre pour une liseuse ne génère aucun frais ou presque. Personne ne perd de l'argent avec le piratage. 

La copie semble à revoir...

Pas totalement, bien sûr ! Le rapport contient un tas de mesures. J'espère qu'elles seront détaillées dans les blogs. Mon confrère Cyril, par exemple, évoque le cas des bibliothèques. Elles devront se mettre à proposer du contenu numérique en prêt. 

Pourtant, je crois qu'il faut pousser le bouchon plus loin. Dans la mesure où avec le numérique, on n'est plus attachés à l'objet. Ce qui compte c'est d'avoir la disponibilité du livre pour le lire. Qu'il soit dans un espace privé (dans l'iCloud par exemple pour ceux qui ont un iPhone ou un iPad) ou dans un espace plus ou moins public, comme celui d'une bibliothèque à laquelle on est abonnés ne change pas grand chose. 

Par ailleurs, avec les bibliothèques telle que l'on connait, il y a forcément une notion géographique : l'endroit où on prend et on rend les livres. Avec le numérique, cela disparaît et les coûts de gestion aussi. Des opérateurs privés (ou pas) pourront proposer des services d'abonnement à l'identique de ce que l'on a actuellement avec Deezer. D'ailleurs un abonnement Deezer est compris dans mon forfait Orange (je ne l'utilise jamais). 

Finalement, Orange pourra me proposer un truc global avec Deezer, bibliothèque,… en me facturant ce que je suis prêt à payer, charge à eux de rémunérer les auteurs... Je n’invente rien, me direz-vous, c’est à peu près le principe de la licence globale. On y vient mais il y a un tas de réticences pour un tas de raisons parfois fort percutantes. Un tel système a déjà été présenté deux fois à l’Assemblée Nationale (notamment lors de la loi Dadvsi en 2005 et d’un autre truc en 2009) mais repoussé sous la pression des lobbies de l’industrie des droits d’auteur.

Des médisants diront qu’ils sont très bien représentés par Pierre Lescure.

Néanmoins, on y va… C’est irrémédiable. Vous trouverez un tas d’arguments dans Wikipedia. Il me semble néanmoins qu’il manque un élément au débat : on ne télécharge plus les œuvres ; on les utilise en streaming ou dans « le cloud ». Par exemple, quand j’achète un livre sur l’Apple Store, je me fous de savoir où il est ensuite, l’important est que je puisse le lire sur l’iPad comme sur l’iPhone. Si je veux le télécharger réellement, c’est pour répondre à un cas particulier : Internet ne passe pas toujours dans les transports en commun mais d’ici quelques années, je n’aurais plus ce problème.

Enfin, à partir du moment où tout le monde aura accès à à peu près tout dans le cadre d’une licence globale, la lutte contre le piratage ne servira plus tellement…

La fiscalité est au cœur de tout. Par exemple, la redevance pour copie privée a été mise en œuvre pour taxer les cassettes et les VHS. Elle a été étendue au DVD puis aux supports numériques tels que les smartphones. Mais avec le développement du streaming, il n’y aura plus de « copie privé ».

Ainsi, une nouvelle fiscalité est nécessaire. Le rapport Lescure en propose une de même qu’un tas d’axes d’évolutions, de restructurations dans les différents organismes (le plus emblématique est le nouveau rôle proposé pour le CSA).

Cette nouvelle taxe ne sera peut-être pas retenue. Pour plus de clarté, je préfèrerais qu’elle soit prélevée sur les abonnements. Peut-importe.

S’il faut défendre l’exception culturelle…

9 commentaires:

  1. La licence globale, ce serait une sorte de partouze généralisée ?

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    1. Si vous racontez des bêtises, je fais un billet de blog avec votre mail d'hier soir. Ça sentait la cuite globale.

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    2. Globale serait exagéré : bien entamée me semblerait plus juste…

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  2. Je n'ai pas lu le rapport et je vais forcément le faire. Te lisant, j'ai une appréhension : qu'on puisse s'éloigner de la Déclaration de l'Unesco de 1992 et de nos engagements pris par la suite : assurer à tous les citoyens, un accès GRATUIT, à la culture, à l'information et à l'éducation.
    D'où l'existence de bibliothèques et médiathèques gratuites, dans toutes les communes - de + en + souvent d'ailleurs, bibli et médiathèques en réseau, gérées par l'EPCI -
    Quand on parle de "truc global" ... comme le bouquet de chaines TV proposé par ton opérateur internet, je bondis ! En effet, il y a plein de gens qui ne peuvent pas s'offrir ce type d'abonnements.
    Deuxio, c'est vraiment un pas de plus vers le basculement de l'accès à la culture, dans le secteur "marchand" ... Or, il ne DOIT PAS y basculer ! Parmi mes engagements militants les plus forts, il y a "la bataille culturelle" : l'Etat doit garantir l'accès de tous, gratuitement,à la culture, à l'information et à l'éducation. C'est ainsi et ainsi seulement, qu'on peut garantir au sens juridique du terme, que chaque individu puisse devenir un citoyen responsable.
    Bz

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    1. Non non. Rassure toi. J'ai fait un billet de vulgarisation, c'est tout. Le rapport est trop épais. Je t'envoie le communiqué de presse (80 pages) ça sera plus simple.

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    2. Pas le communiqué, le dossier.

      C'est parti ! Dis moi si tu ne le reçois pas, je suis avec l'iPhone.

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  3. Ayé, je l'ai reçu ! un gros merci.
    Bz

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