En salle

02 mai 2013

Le billet d'anniversaire

Que doit faire le blogueur de gauche à l'approche de l'anniversaire de l'élection de son poulain ? Le jour se rapproche et je m'entraîne depuis hier. Tout d'abord, il doit commencer par critiquer pour prouver à ses lecteurs qu'il est parfaitement objectif. Ensuite, il doit montrer qu'il ne regrette pas son vote pour bien montrer qu'il ne s'est pas fait entuber. Mieux, il doit démontrer "qu'il savait".

Usant d'un minimum d'habileté, il fera comprendre à ses lecteurs qu'il est influent, que le château lit son blog, qu'il a l'oreille de Pépère. Néanmoins, il lui faudra prouver qu'il est indépendant et ne reçoit aucune information.

Ainsi, dans un billet de deux pages, il n'aura parlé que de lui. Il aura bien personnalisé son billet pour retranscrire une émotion, une humanité.

Je vais me lancer.

C'est fantastique ! Le point d'orgue de cette première année de gouvernement de gauche depuis 10 ans restera probablement ce 23 avril, avec le vote du mariage pour tous. C'est le jour de mon anniversaire ! Je mérite bien ça avec tout ce que j'ai donné et c'est drôlement sympa de la part des copains de Matignon d'y avoir pensé.

Ne pas hésiter à en faire trop : certains vont vous croire et les autres vont penser que vous déconnez. Là, j'ai joué un peu trop le ravi de la crèche. Il faut en rajouter un peu dans l'émotico-burlesque. Respirez !

Je me souviens de cette soirée du 6 mai. Je l'avais passée sur le plateau de France qui cherchait du monde pour faire le décor. C'est ce soir là que j'ai appris que j'étais décoratif. J'étais au premier étage et avais une vue plongeante sur le plateau. C'est ainsi que je peux vous confirmer que même vu de haut, Alain Juppé est chauve. Je me suis cassé vers 22h15 parce qu'il n'y avait pas bière. J'avais comme première idée de rejoindre les copains à Bastille mais je me suis dit que je ne les trouverai pas dans la foule. Je suis donc rentré à Bicètre, me disant bien que l'Aéro était ouvert. Tous les clients étaient émus. Ces braves Kabyles voyaient enfin la fin d'années de stigmatisation, de délit de faciès.

Ne pas hésiter à en rajouter un peu, comme ça. De toute manière, il faut faire durer l'introduction, ça vous permettra d'alléger l'hommage puisque vous n’avez rien à dire.

Dans la suite de la soirée, on a regardé la télé avec ces imbéciles de journalistes qui cherchaient à meubler le temps qu'Hollande rentre à Paris.

Très important ! Critiquer la presse. Ça vous donne de la hauteur. Ça montre que vous êtes plus intelligent que les professionnels.

Quand François Hollande est arrivé, la joie s'est montrée palpable (ça ne veut rien dire mais des illettrés vont vous croire intellectuel) puis il a prononcé son discours et je me suis mis à chialer comme une madeleine sous le coup de l'émotion, me rappelant le chemin parcouru depuis ce jour de septembre où j'avais décidé de le suivre et de l'accompagner jusqu'à la victoire.

Ne pas hésiter à en faire trop car vous allez passer à la critique.

Que dire un an après ? Bien sûr, tout n'a pas été rose. L'été fut suivi d'une série de couacs, d'erreurs de communication, de décisions maladroites de la part de jeunes ministres qui apprenaient le métier. Et il y a eu l'affaire Cahuzac, un des plus gros scandales de la vie politique des dernières années parce que ce type s’est emmêlé les pinceaux dans des mensonges, faisant tomber l’idée de la République irréprochable que vous aviez.

La gestion de certains dossiers a été dramatique. Florange et les pigeons ont été deux emblèmes. Les pigeons : le gouvernement a d'abord laissé entendre qu'il s'attaquait aux entreprises puis qu'il cédait face aux plus riches. Erreur de communication sur tous les tableaux. Florange : outre "l'échec" de la gestion du dossier, l'état a donné l'impression de batailler pour sauver quelques emplois dans un domaine pas porteur d'avenir alors qu'il faut en créer un ou deux millions pour revenir à un niveau raisonnable.

Ne pas hésiter à cogner. Vous aller finir par dire du bien, lâchez vous maintenant. Ça fait du bien et vous passerez pour objectif. De toute manière, ça n'est pas nocif : le mal a été fait. Au contraire, rappeler des erreurs de jeunesse permettra de mieux souligner le fait qu'ils apprennent (et que vous n'aviez pas tort de les soutenir même si vous le regrettez parfois).

Ensuite, vous passerez rapidement sur les aspects négatifs côté législatif. Je vais tenter.

Suite à ces dossiers, un mot est arrivé à la mode : compétitivité. C'est une belle connerie. Ce n'est pas à l'état d'assurer la compétitivité des entreprises. Du coup, ça s'est traduit par une usine à gaz : le CICE qui consiste à reverser du pognon à des entreprises sans contrepartie visible... Et une augmentation de TVA, certes très légère après ce qu'avait prévu la droite mais tout de même...

Je n'ai pas compris le but. Il me semblait qu'il fallait alléger les charges sur le travail en contrepartie d'une taxation de la valeur ajoutée hors travail (le chiffre d'affaire hors charges salariales).  Il en résulte une augmentation de la taxe la plus injuste.

Ensuite, il y a eu l'ANI avec son aspect positif (la négociation) et des aspects négatifs. N'en faites pas trop : personne n'y comprend rien et il ne concerne qu'un faible nombre d'électeurs. En termes de communication, le résultat est positif. La droite ne peut pas gueuler et les centristes sont bien contents de voir le gouvernement s'opposer à la CGT.

J'accélère. Le billet est déjà long. Il faut ensuite passer aux aspects positifs. On a tendance à ne pas les voir mais ils sont bien là. Laissez tomber les mesurettes. Retenez le lourd :
-    Abaissement de l'âge légal du départ en retraite de 62 à 60 ans pour ceux qui ont commencé à travailler tôt
-    Recrutement de 60 000 postes supplémentaires sur 5 ans à l'éducation nationale
-    Rétablissement de l'année de stage dans la formation des nouveaux professeurs
-    Hausse de l'impôt sur la fortune
-    Augmentation de la tranche supérieure de l'impôt sur le revenu de 41 à 45 %
-    Taxation supplémentaire des logements vacants
-    Alourdissement des droits de succession
-    Baisse de la TVA sur les produits de première nécessite de 5,5 à 5 %
-    Réduction de la part du nucléaire dans la production de l'énergie en France
-    Loi sur le harcèlement sexuel comblant ainsi un vide juridique depuis que le conseil constitutionnel avait censuré un article de la loi sur le harcèlement sexuel, le jugeant contraire à la constitution.
-    Annulation de la défiscalisation des heures supplémentaires pour toutes les entreprises, et restriction de l'exonération des cotisations sociales patronales aux entreprises de moins de vingt salariés seulement.
-    Maintien du rejet de tous les permis d'exploration et d'exploitation du gaz de schiste par la technique de fracturation hydraulique et ce durant tout le quinquennat.
-    Relèvement du plafond du livret A de 25 % à 19 125 euros et doublement du plafond du livret développement durable (LDD) à 12 000 euros.
-    Création des contrats de génération : l'embauche d'un sénior de plus de 55 ans en CDI et d'un jeune de moins de 26 ans en CDI sera compensée par une aide financière en faveur des entreprises
-    Loi sur la création de 150 000 emplois d'avenir entre 2012 et 2014 pour les jeunes de 16 à 25 ans peu ou pas qualifiés essentiellement dans les associations, les collectivités territoriales et l'économie sociale et solidaire vivant dans des zones urbaines ou rurales défavorisées, ou en outremer, ainsi qu'à des handicapés peu qualifiés de moins de 30 ans, en difficulté.

Il y a de quoi faire. Je suppose que le Gouvernement va nous mâcher le travail.

Ensuite, vous pourrez finir en apothéose sans rentrer dans le cul cul gauchiste, juste un peu de flonflon. Vous pourrez prendre le mariage pour tous. N'allez pas fanfaronner sur les droits pour tous, ce n’est pas un truc compréhensible par les gens, honnêtement. Ne parlez pas d’égalité, parlez de suppression de différence. Honnêtement le mariage est une connerie qui ne peut correspondre à un idéal de gauche... N’oublions pas l’aspect personnel, presque affectif du dossier.

Par exemple :

Et il y a eu le mariage pour tous. J’étais contre. Je le suis toujours. Parce que je suis contre le mariage. Il n’empêche que des copains homos m’ont dit un jour qu’ils voulaient se marier. J’ai compris à quel point c’était important pour eux : pouvoir vivre comme les autres. Alors, je me suis battu pour. J’ai manifesté, j’ai fait des billets de blogs,… En lisant beaucoup, j’ai aussi compris pourquoi c’était une étape importante dans la lutte contre l’homophobie, pas celle méchante qui incite à la violence, celle tapie en nous en tous, ce petit truc qui nous fait sursauter quand on voit deux filles ou deux garçons se tenir par la main dans les couloirs du métro. Progressivement, dans 5, 10 ou 20 ans, des jeunes de 15 ou 20 ans, découvrant leur homosexualité ne vont plus se considérer comme des monstres ou espérer changer (je ne sais pas, je ne suis pas passé par là). Ils vont pouvoir le dire à leurs copains, à leurs parents, …

Pour tout cela, je suis fier d’avoir voté à gauche, fier d’avoir soutenu ce Président et tout ça (n’en faites pas trop maintenant, il faut en garder sous le coude pour finir le billet).

Par ailleurs, j’ai lu beaucoup de billets de blogs. J’ai compris combien certains opposants avaient une vision étriquée de la société. Je n’aime pas opposer la ringardise et la modernité car il ne m’appartient pas de dire ce qui est moderne ou pas. Tout au plus, je peux constater que le mariage n’est pas quelque chose de moderne. Les principes de base qui régissent notre quotidien ne doivent pas être basés sur les principes moraux de quelques uns qui passent leur temps à fustiger la gauche morale et à gueuler parce qu’on leur impose des évolutions de la société alors qu’ils voudraient nous imposer leur propre vision de leur quotidien.

Un jour, peut-être, ils comprendront que les gens sont différents et que lutter pour la fin des inégalités ne veut pas dire rendre tout le monde égal, bien au contraire : il s’agit d’admettre que tous les gens peuvent vivre avec leurs différences.

Un jour, ils ne verront pas les noirs homosexuels du pavillon mitoyen comme « les pédés nègres d’à côté » mais les voisins. Un jour, « pédé » et « nègre » ne seront plus des insultes.

Il faut continuer.

J’ai voté à gauche en 1981 (ce n’est pas vrai, j’avais 15 ans). 31 ans après, la gauche est revenue au pouvoir (après l’avoir eu 15 ans, mais c’est un détail). Un grand pas contre la haine a été franchi, on le voit d’autant mieux avec le climat de haine, justement, qui a régné pendant ces débats.

Après, il faut trouver une conclusion forte qui va tout résumer. Voyons voir…

Par mon blog, à mon modeste niveau, j’ai contribué à cette victoire de la gauche, après dix ans de droite. J’en suis fier. Je ne suis pas satisfait de tout ce qui a été accompli – c’est le jeu de la démocratie – mais l’essentiel est là. La société bouge progressivement vers l’idée que je m’en fais (ça veut dire quelque chose, ça ?).

Il nous reste quatre ans de travail. Tous ensemble ou seul contre tous…

Il n’empêche que ces cons ont augmenté les taxes sur la bière.

La dernière étape sera de trouver une photo en évitant toutes celles où il a l'air ridicule, comme les photos de début de mandat quand il était sous la pluie.

18 commentaires:

  1. Hormis un copier/coller (je suppose) qui donne deux doublons dans les réussites sur la réduction de la part du nucléaire et sur la loi sur le harcèlement sexuel (certainement une certaine envie de vouloir rendre la mariée plus jolie) je trouve qu'il a le mérite de donner un peu de perspective (et de l'ironie aussi sur l'exercice de style).
    J'aime.

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    1. Merci

      Je me demande si je ne suis pas en retard pour répondre aux commentaires...

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  3. On ne peut pas dire que les socialistes se soient beaucoup foulé depuis un an, probablement une question de métabolisme. Bon anniversaire tout de même.

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    1. Rappel utile ! Mais le SIG devrait faire son boulot.

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  4. Le truc qui marche toujours pour paraître objectif : pointer une chose généralement considérée comme une qualité et la faire passer du côté des défauts, de manière à avoir quelque chose à reprocher à celui dont on dresse le panégyrique. Les guignols du showbiz font ça très bien, en général (« Mon plus gros défaut, c'est que je fais trop confiance aux gens » ; ou bien : « Mon plus gros défaut, c'est que je ne suis jamais satisfait de moi-même ni de mon travail » ; etc.). Pour Hollande, je vous laisse trouver…

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    1. Un autre truc qui marche bien aussi : c'est de dire que tous les autres sont des mauvais et que soi-même, on est un pauvre écrivain en bâtiment qui vit "modestement" de son talent.

      Ou l'art de se faire mousser en noyant les autres...

      Arf, Nicolas ! Défendre le gouvernement actuel est un sacerdoce. J'ai pourtant du mal à te voir en enfant de chœur pendant encore bien longtemps.
      À force de constater certaines lacunes, les canines vont pousser et les griffes vont sortir... :-D
      .

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    2. Cuicui,

      Tu fais erreur. J'ai toujours été sur la ligne politique de ce gouvernement. Ce n'est pas un sacerdoce. Plus à gauche, tu n'es pas élu. Plus à droite, tu n'es pas élu.

      Les autres,

      Bonjour, comment va ta grosse ?

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  5. Pour montrer que je lis bien tes articles jusqu'au bout (mode lèche cul ON): dans le § à la fin qui commence par "J'ai voté...", c'est 31 ans qu'il faut lire. Sinon on comprend rien.

    Dans les points importants j'ai également noté qu'ils ne servaient pas de bière sur les plateaux de France 2. J'suis pas près d'y mettre les pieds.

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  6. http://tempsreel.nouvelobs.com/hollande-un-an-a-l-elysee/20130430.OBS7741/les-60-promesses-de-hollande-un-an-apres.html

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  7. "Quand François Hollande est arrivée"

    Faut-il y voir un coming out ?

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  8. Billet à la fois affreux et magnifique. Le procédé fait en sorte que tout sonne faux, mais pourtant il y a du bon et du vrai dans ce qui est dit. J'ai bien aimé ce chaud-froid, ce balancement entre la raison et le sentiment, qui correspond assez à mon ressenti sur cette première année.

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    1. Merci .

      Ce qui compte est de garder la raison et personne ne le fait.

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