A l’heure où l’on parle beaucoup
de réindustrialisation, notamment avec la présentation par François Hollande et
Arnaud Montebourg des 34
projets, on pourrait aussi s’interroger sur le secteur bancaire. Aussi,
quand j’ai vu le sous-titre de cet
article du Télégramme dans Google News, ce matin, j’ai été un peu surpris. « Bonne nouvelle. Mastercard et Visa se sont engagés à baisser
les commissions interbancaires des cartes bancaires émises essentiellement par
la grande distribution. » Je me demande
si le journaliste qui a écrit tout ça pourrait nous expliquer en quoi c’est une
bonne nouvelle…
Reprenons l’affaire :
Mastercard et Visa vont baisser les commissions qui sont payées par la banque
du commerçant qui accepte une carte à la banque du client qui utilise cette
carte. Ceci ne concerne pas la majorité des cartes bancaires émises en France qui
sont aussi estampillées CB, c'est-à-dire par le Groupement Cartes Bancaires,
émanation des banques Françaises. Certaines enseignes de la grande distribution
diffusent maintenant leurs propres cartes Mastercard ou Visa mais en dehors du
système CB.
L’autorité machin truc qui a
conclu l’accord avec les deux géants américain conclut : « In fine, ce sont les consommateurs qui bénéficieront de
cette baisse des commissions, au travers de la répercussion sur les prix de détail
des économies de frais bancaires que les commerçants auront pu obtenir auprès
de leurs banques » ! C’est
globalement faux. La banque d’un commerçant vendant un iPhone à 700 euros payera
deux euros de moins en commission à la banque du type qui l’achète. Comme cela
représente environ 5% des transactions (et encore, j’ai un doute sur ce chiffre
qu’on trouve dans la presse), l’impact réel devrait être de l’ordre de un
centime par iPhone en moyenne. En gros, l’iPhone à 699€99 pourrait passer à
699€98.
Voilà ce à quoi passent leur temps
certains types dans des « autorités » en oubliant que ce genre de
considération ne rentre pas dans le calcul du commerçant qui fixe ses tarifs en
fonction de ce qu’on appelle le marché. Ils sont rigolos ces libéraux en peau
de lapin qui veulent réguler les marchés en oubliant qu’ils existent ! Si
on y pense bien, ils imposent à des acteurs étrangers de baisser leurs tarifs
pour faire une plus grosse concurrence aux acteurs Français…
Les hypermarchés émettent ces
cartes pour offrir un service au client : l’achat à crédit. Ils utilisent
leurs cartes pour payer et payent ultérieurement en prenant des intérêts qui
sont payés par les clients. En développant ce type de cartes, on augmente donc
les frais des consommateurs.
En encourage la consommation,
certes, mais aussi le surendettement ! Il en est où mon journaliste avec sa
bonne nouvelle ?
Reprenons !
Un jour, on a décidé de faire une
monnaie commune avec d’autres pays européens. Cette monnaie commune n’avait de
sens que si elle pouvait être utilisée partout avec tous les types de paiement.
On appelle l’Europe des paiements. Le SEPA. Single Euro
Payments Area. Le SEPA concerne tous les pays
d’Europe et pas seulement les pays où la monnaie est l’euro. Avec la carte, ça
ne posait pas de problème. Votre carte française était aussi estampillée Visa
ou Mastercard, vous pouviez l’utiliser chez tous les commerçants européens qui acceptaient
ces cartes. Pour les autres moyens de paiement (chèques, TIP, virements,
prélèvements,…), c’était beaucoup plus compliqué. Chaque pays avait ses
pratiques. Il a fallu tout d’abord se mettre d’accord sur les solutions à
développer, puis créer un cadre juridique et réglementaire commun et enfin
développer les moyens techniques correspondants, donc les structures juridiques
ou commerciales en charge de les gérer. Ca ne s’est pas fait en un jour, vous
vous doutez bien ! Tout ce bazar devrait être fini pour le 1er février
2014.
Pour la carte, il n’y avait ainsi
rien à faire puisqu’elle fonctionnait déjà. On espérait que les banques
européennes se mettent d’accord pour développer leurs propres réseaux. On
aurait pu imaginer, par exemple, que le Groupement CB des banques françaises s’étende
à toute l’Europe. Cela ne s’est pas fait pour différentes raisons, des intérêts
contradictoires,…
Du coup, le marché des paiements
entre pays européen est resté comme avant, aux mains de deux géants américains,
Mastercard et Visa. Il existe d’autres machins comme American Express, JCB, Diners,
… mais ils restent assez marginaux en France et plus ou moins réservés à des
clients qui voyagent beaucoup.
Par contre, la mise en œuvre du
SEPA s’est accompagnée d’une dérégulation bien libérale. Il fallait ouvrir les
marchés. Concrètement, CB ne pouvait plus exercer un quasi-monopole sur le
territoire. Ainsi, Mastercard et Visa ont pu commencer à émettre des cartes
plus estampillées CB ce dont ont profité les « services financiers »
des chaines de grande distribution pour émettre des cartes.
Reprenons
Les « autorités » ont
fait baisser les commissions à Visa et Mastercard pour que leurs commissions
soient identiques à celles pratiquées entre elles par les banques françaises.
Je vais revenir sur les aspects techniques pour que vous compreniez bien dans
la prochaine section.
Mais si des « non banques »
peuvent émettre des cartes pas CB mais uniquement Visa ou Mastercard puisqu’elles
sont acceptées partout aux mêmes conditions financières que pour les cartes CB,
les banques françaises finiront par émettre elles-mêmes des cartes Visa ou
Mastercard non CB. Après tout, pourquoi elles continueraient à payer des
redevances pour deux réseaux, l’international et le Français ?
Ainsi, avec cette baisse de
commissions des acteurs étrangers « imposée » par « une autorité »,
ce sont plus de flux financiers qui vont passer par eux, au détriment du
système bancaire français. Il en est où mon journaliste avec sa bonne nouvelle ?
En fait, le Groupement Carte
Bancaire se trouve fragilisé au profit de deux sociétés américaines. Nos
autorités qui se battent pour la concurrence vont faire en sorte de tuer un
acteur français qui a un quasi-monopole parce qu’il résulte d’un accord entre
banques françaises favorisant la concurrence entre elles. En le tuant, elles
vont donner un quasi-monopole à deux acteurs non européens qui vont donc
profiter des flux financiers liés à une majorité des paiements.
Il ne faut pas espérer voir
émerger d’autres réseaux. C’est assez facile d’émettre une carte adossée à un
nouveau réseau mais si une majorité des commerçants n’a pas un terminal capable
de les accepter, on est mal barrés…
Il en est où mon journaliste avec sa
bonne nouvelle ?
Les autorités doivent se
préoccuper de la situation et, maintenant que le SEPA est fait, se pencher
sur la situation des cartes pour forcer les banques Européennes à développer
leurs propres réseaux. La situation de la France est particulière : c’est
le seul pays ou presque à disposer d’une entité comme CB. Il aurait pu suffire
de le relier avec les réseaux équivalents des autres pays mais ils n’existent
pas. La logique voudrait d’imposer le réseau CB (qui serait évidemment renommé
au sein d’une entité européenne) en tant que base pour faire un réseau
européen. Je ne sais pas où en sont les travaux, les réflexions,…
Il en est où mon journaliste avec
sa bonne nouvelle ?
Reprenons
Il ne s’agit pas de pleurer sur le
sort des banques qui vont devoir payer des commissions à des boites étrangères
pour pouvoir émettre des cartes et donner la possibilité à leurs clients
commerçants de les accepter. Il n’empêche que ce sont des entreprises comme les
autres et il faut y songer.
D’autant qu’elles ne sont pas
exactement comme les autres, elles sont aussi faites pour financer l’économie
en accordant des crédits et si leurs profits baissent parce qu’elles payent des
commissions à l’étranger, elles ne pourront pas accorder autant de crédits…
Il en est où mon journaliste avec
sa bonne nouvelle ?
Je vais vous raconter une
anecdote. Le nom de domaine de ce blog, jegoun.net, arrive à expiration dans
quelques jours et je n’arrive pas à payer son renouvellement à cause d’un bug
chez Google (où je l’ai acheté). J’ai réussi à payer pour les autres blogs, il
s’agit bien d’un bug (peut-être lié à une connerie que j’aurais faite).
Toujours est-il qu’on me dit de passer maintenant par Google Wallet – le portefeuille
électronique de Google – pour payer (ce qui ne résoudra rien). Il n’empêche que
passer par Google Wallet est aussi donner des flux financiers à une boite
américaine, elle-même en situation de quasi monopole sur plusieurs secteurs.
Donc pour renouveler mon nom de
domaine acheté chez Google, je serais obligé de payer par un moyen de Google ?
J’espère que c’est une farce !
Saluons donc l’initiative de trois
banques françaises qui viennent de sortir Paylib !
Et évitez les systèmes de paiement de sociétés non européennes. Paylib est présenté
par la presse comme un concurrent de Paypal. C’est faux.
Reprenons et concluons
Avec cette fausse bonne nouvelle,
les autorités encouragent la mort d’acteurs européens d’une industrie,
celle du paiement par carte, qui représente une part non négligeable des
bénéfices des banques avec les commissions qu’elles nous prennent ou qu’elles
prennent aux commerçants. Elles devront les reverser à des acteurs étrangers.
C’est mal.
Encadré 1 – des schémas de
paiement
Des « schémas de paiement »
tels que Mastercard, Visa et CB regroupent différents aspects :
-
une
marque commerciale. C’est surtout vrai pour Visa et Mastercard qui développent
plein de produits (assurances, …) autour de leur carte et moins pour CB (les
banques françaises se concurrences entre elles),
-
un cadre
réglementaire et juridique. Les particuliers s’en foutent un peu mais c’est très
important pour les banques,
-
des
spécifications sécuritaires et techniques. Tout cela est bien compliqué mais il
faut qu’une puce puisse dialoguer avec un terminal tout en respectant le cadre
réglementaire et technique. Ces spécifications sont de plus en plus normalisées
(les schémas ont à peu près les mêmes, les spécificités de chacun sont assez
faibles). Elles sont complétées par des procédures d’agrément ou de
certification pour s’assurer que les industriels font bien des produits (cartes
et terminaux) conformes aux exigences des schémas,
-
un
réseau informatique pour permettre aux banques d’échanger les autorisations et
les flux financiers.
Encadre 2 – un peu d’histoire
des réseaux
Dans le temps, on avait Eurocard
et Carte Bleue qui représentaient, en France, Mastercard et Visa. Dans les
années 80, les banques françaises ont créé le Groupe des Cartes Bancaires CB
pour garantir l’acceptation des cartes qu’elles émettent sur tous les terminaux
et dans tous les distributeurs de billet du pays. Au sein du GIE, il y avait le
Réseau Carte Bancaires, l’eRSB, maintenant : le réseau de services aux
banques.
Toutes les transactions par carte
transitaient par ce machin qui permettait aux banques de communiquer entre
elles mais aussi avec les deux réseaux internationaux majoritaires Mastercard
et Visa.
Ce système permet que chaque carte
française (CB) mais aussi chaque carte étrangère (Mastercard ou Visa)
fonctionne sur chaque terminal français. Tous les terminaux de paiement en France
acceptent donc les cartes des trois réseaux (une carte CB Mastercard ou CB Visa
sera traitée en mode CB).
Depuis quelques temps, ces réseaux
étrangers encouragent les banques à se connecter directement à eux, sans passer
par le eRSB. En gros, ils ne leur laissent plus trop le choix (elles peuvent
néanmoins passer par un opérateur technique tiers pour assurer la compatibilité
technique).
Mastercard et Visa disposent ainsi
de tout le réseau français de terminaux de paiements mis en place par les
banques et leurs clients, les commerçants, mais se passent désormais des moyens
techniques (le eRSB) commun aux banques françaises…
Elles prennent le beurre et
gardent l’argent du beurre.
Note très intéressante.
RépondreSupprimerMerci beaucoup.
Bz
pas simple tout ça d'autant que la baisse des com ne profite évidemment pas au consommateur
RépondreSupprimerÇa me fait penser que tu es l'inspirateur de ce billet (notre échange d'hier) et que j'ai oublié de te citer ! Pour une fous que je fais un billet au bistro le soir et que je prends le temps de le fignoler le matin...
Supprimer:)
SupprimerExcellente, ton explication.
RépondreSupprimerOn est loin d'une fois où, devant des amis ébahis, qui ne connaissaient pas encore, j'avais à 3h du matin fait à Romorantin un retrait au distributeur du CA local (alors que je n'étais pas du coin), avec ma carte Contact. A l'époque (il y a juste 40 ans), les puces n'existaient pas encore. Le réseau CB non plus.
Merci.
SupprimerFallait pas migrer en EMV...
RépondreSupprimerTiens. J'avais oublié de te répondre.
SupprimerLa migration à EMV n'est pas directement en cause. Elle a simplement été mal faite. CB aurait dû se positionner comme un concurrent à MasterCard et Visa. On a d'un côté un AID à nous et l'autorité de certification qui va avec. Il suffit de connecter les banques étrangères au réseau et leur donner l'application pour les terminaux.
L'erreur qui a été faite a été de faire des applications pour les terminaux spécifique au marché Français. Les spécifications auraient du se limiter aux protocoles (cb2a autorisation et cb2a télé collecte, pas télé paramétrage ou alors des trucs plus générique (champs 43, 42, 33,...) d'identification des terminaux et quelques trucs comme une table des BIN pour autoriser les traitements off-line. Un protocole de télé paramétrage à part aurait pu être développé pour répondre aux exigences françaises.
En résumé l'erreur fut CB5.1 pas CB5.2 ni EMV.
SupprimerIci on a un paquet de VANs qui font le liens entre les banques et les commerçants et eux ne sont pas décidés du tout a se laisser manger par VISA et MCW. Ils freinent des 4 fers et se moquent pas mal des injonctions des géants américains.
SupprimerTrès intéressant en effet. Si je comprends bien, grâce aux efforts du groupe CB, presque tout le parc de terminaux accepte CB/Visa/MC, le tout au standard EMV depuis 2003, mais un paiement par carte 'CB+autre' sera forcément pris en charge par le système CB? Dans ce cas, la majorité des paiements par carte (physique) passe par CB, mais tu dis que CB va se faire étouffer par Visa-MC, pas vrai? Est-ce que CB ne peut pas profiter de cet avantage pour proposer des com compétitives par rapport à Visa-MC et assurer sa survie sur le marché libre? Ou l'ensemble des utilisateurs français ne fait pas le poids face aux prix que peuvent se permettre les 2 géants?
RépondreSupprimerVisa et MasterCard sont des sociétés commerciales, CB n'est qu'est regroupement de moyens. Les vraies commissions sont entre les banques (CB fait le tri pour calculer tout ça). C'est une histoire d'équilibre entre les cartes et les terminaux.
SupprimerLes banques sont en concurrence entre elles plus qu'avec MasterCard et Visa.
Par ailleurs, tout commerçant peut réduire des prix pour augmenter le chiffre d'affaire mais au détriment de sa marge. Enfin, les banques étant obligatoirement MasterCard ou Visa pour être à l'international, ça leur coûte trop cher de conserver un réseau à elle. Un espèce de cercle infernal.
La décision devrait bien être politique mais irait dans ce cas à l'encontre des règles de concurrence.
Le fonctionnement des autres pays d'Europe est différent. Ici, les banques gèrent eux même leurs commerçants. Dans d'autres pays, ce sont d'autres opérateurs. On a du mal à se rendre compte tellement on est habitués au système.