Hier soir, j'étais au bistro (ce n'est pas un scoop). J'étais
au comptoir en train d'écrire un billet de blog. A côté du comptoir, il y a un
petit salon avec des chaises basses qui était occupé par cinq ou six malentendants
(des sourds, quoi,...). Ils communiquaient en langage des signes. Ca partait
dans tous les sens comme s'ils parlaient tous en même temps. Ils s'énervaient,
visiblement. Ils ont commencé par émettre des borborygmes puis se sont mis à crier
assez fort tout en continuant à gesticuler dans tous les sens, se levant de
leur chaise, se rasseyant. C'était très drôle et nous sourions bêtement avec
les serveurs sans oser parler.
Essayez d’imaginer la scène. Vous pouvez sourire bêtement. C’est
mal. Vous vous moquez d’handicapés. Pardon, de personnes à mobilité réduite.
Dans
son
billet, Bembelly parle de cette photo. Une femme blanche est assise sur une
femme noire à moitié nue qui tient lieu de fauteuil. Il parait que c’est de l’art.
Bembelly la trouve absolument raciste et il a raison. Que dirait-il, par
contre, si le photographe avait été noir ? Ou si le photographe blanc
avait expliqué qu’il voulait figurer la domination des noirs par les blancs
dans l’histoire de l’humanité ? Qu’il voulait représenter l’esclavagisme ?
En commentaire, néanmoins je me permets une plaisanterie sur
le thème : avec sa chevelure, la femme noire pourrait laver le sol plutôt
que de rester à glander. Bembelly est noir et il sait comment prendre ma plaisanterie.
Hier soir, avec mes malentendants, je me disais que si j’avais été avec mes
copains noirs, Djibril ou Tonnégrande, voire avec Bembelly, j’aurais pu leur
dire : heureusement qu’ils ne sont pas noirs, on aurait eu la preuve de la
proximité avec les singes. Aucun des trois n'est malcomprenant : ils
auraient immédiatement pris ma vanne pour ce qu’elle est, une connerie de
comptoir. Comme ils savent qu’il n’y a aucune méchanceté, ils ne se seraient
pas offusqués.
Vous connaissez Marcel le fiacre ? C’est un héro de mon
blog bistro. Un pur raciste. J’aurais pu lui sortir la même vanne, alors. Il
aurait alors rigolé comme madeleine. C’est un pur raciste. Mais il aurait fini
par être gêné et m’aurait dit : fais gaffe, on pourrait t’entendre. En
fait, je n’aurais fait la vanne qu’à Tonnégrande (Bembelly et Djibril ne
connaissent pas assez Marcel) et en présence de Marcel. Tonnégrande aurait très
bien compris que je me moquais du racisme de Marcel.
Dans
un
récent billet, Rosa Elle évoque le racisme anti-noir et l’humour. De tous
les temps, le racisme a été un support de l’humour. Elle se rappelle de Michel
Leeb qui se foutait de la gueule des noirs en les imitant, ce qui ne faisait
que les rabaisser à la position de singes. On se rappelle tous du sketch de
Fernand Raynaud avec le boulanger étranger.
Elle évoque un récent sketch de Patrick Timsit. Vous prenez
un noir et un blanc : « vous les mettez
dans le métro à la station Châtelet. Vous leur donnez rendez-vous à Charles de
Gaulle-Etoile. Eh bien,... le Noir arrivera systématiquement... 20 mn après le
Blanc. Le Noir est plus lent. Plus lent pour présenter ses papiers d'identité...
au petit contrôle d'étape. Plus lent pour prouver qu‘il n'a pas volé le métro...
dans lequel il circulait ! » Le texte ne me semble pas
raciste. Au contraire, même. Il y a une critique explicite des agents de la
RATP et des policiers qui font des contrôles au faciès.
Rosaelle s’offusque néanmoins. En fait, je ne sais pas trop
pourquoi mais elle pose une question pertinente : « Est-ce qu'un raciste ne va pas juste voir le premier degré
en se délectant du fait qu'on se fiche de la gueule des "nègres" ? »
Je me demande si un raciste irait voir un sketch de Timsit. Je vais lui
répondre : si ben tant pis c’est l’occasion de se foutre de sa gueule.
Je me posais la question : si le sketch avait été sorti
par un noir – non ! Pas Dieudonné, un normal – aurait-il été raciste ?
Non. Il n’est donc pas raciste. Mais, pire !, s’il avait été sorti par un
noir, il n’aurait pas été drôle, on aurait eu l’impression que le gars
pleurniche sur sa condition. Il aurait donc été raciste mais humainement
acceptable. C’est fou, non ?
Si j’avais été au comptoir avec Tonnégrande et la troupe de
malentendants blancs gesticulant et hurlant, c’est lui qui m’aurait dit : « Alors ! Vous voyez bien que c’est vous qui descendez
du singe ! » Ce à quoi je lui aurais répondu : « Imbécile, il n’y a bien que les noirs pour se moquer d’handicapés. »
Pour faire ce billet, je suis allé vérifier un truc sur la page
Wikipedia de Patrick Timsit (ne regardant quasiment jamais la télé, je le
connais mal). On apprend, par exemple, qu’il « aborde
également des sujets délicats, comme la politique, le racisme, l'antisémitisme,
le conflit israélo-palestinien sur un mode provocateur. » A priori
son public devrait être habitué à ses histoires, si ça peut rassurer RosaElle.
On apprend aussi que : « Un
sketch dans lequel son personnage tient des propos jugés insultants pour les
handicapés mentaux lui vaudra un procès. » Oups ! Dans ce
billet, je me moque de quelques noirs, d’un raciste et d’une troupe de
malentendants. J’espère ne pas avoir de procès. Je ne me moque pas, je relate.
Et de toute manière, s’ils s’étaient moins branlés à l’adolescence, ils n’en
seraient pas là.
Je vais titrer ce billet « peut-on
rire de tout ? » Vous êtes priés d’éviter de répondre en
commentaire « oui mais pas avec n’importe qui. »
C’est un peu trop facile. Par exemple, je ne doute pas un seul instant que le
spectacle de Dieudonné soit drôle. Le problème est qu’il y tient des propos
illégaux et qualifiés « d’incitation à la haine raciale » par la
justice.
On peut rire de tout. Il suffit de ne pas se faire prendre.
C’est en lisant le billet de Suzanne que je me suis rappelé
de mes handicapés. Plus exactement en tentant de le commenter. D’ailleurs, le
premier paragraphe de ce billet, l’anecdote, je l’avais écrit chez elle puis l’idée
de ce billet m’est venue. En me remémorant la scène, je me disais aussi que c’était
étrange d’avoir des congénères, à deux pas de moi, avec lesquels je ne pourrais
jamais communiquer. Ils ont un handicap mais vivent très bien entre eux.
En rire est aussi une forme d’hommage. En rire est aussi une
manière de se rappeler de la condition des autres. Rire peut être plein de
tendresse. Rire est salvateur, comme Henri.
A force de ne pas pouvoir rire de tout, on osera plus rire
de rien. On ne pourra plus se moquer du malheur des autres.
« Il a pris sa femme, sa
valise, ses enfants, ils sont montés sur un bateau, ils ont été loin au delà des
mers, lououain...
Et, depuis ce jour là, dans notre
village, eh ben on mange plus de pain, dit !
Il était boulanger ! »