Il y a un nouveau serveur, à la Comète. Je ne l’aime
pas. Ce n’est pas la première fois que ça me fait ça, mais, au moins, j’avais
de l’affection pour les autres. Je ne les aimais pas en tant que serveurs, mais
j’ai passé des bons moments de rigolade avec eux. Le dernier était peut-être
Seb, du temps de Bruno.
Ah non, tiens ! Il y en a eu plus récemment. Clémence
et Guillaume, par exemple. On était très potes, presque intimes à force de
faire les fermetures ensemble. Mais ils oubliaient toujours qu’on était
clients. Christian, c’est le contraire ! Il oublie parfois qu’on est
potes. Il est très soupe au lait, un peu comme moi dans les réseaux sociaux et
prends la mouche pour des conneries. Il oublie qu’on plaisante.
Avant de bosser à la Comète, Guillaume bossait dans un
bar de jeunes, je crois. Les clients avaient son âge, pas encore la trentaine,
quoi. Comme Tonnégrande et moi étions les plus fidèles clients du comptoir en
soirée, il nous considérait comme ses potes, à juste titre. Ca s’est passé très
vite. En quelques jours, il avait repéré les deux vieux cons sympathiques qui n’arrêtaient
pas de discuter entre eux. Il avait vu qu’on était dans les meubles. Au bout d’une
dizaine de jours, je rentre du boulot. Tonnégrande était assis en terrasse. Je
vais le saluer et il semblait dépité. « Tu te rends compte »
me dit-il « il m’a demandé d’aller lui acheter des cigarettes. »
Je lui ai dit de l’envoyer chier, qu’il me demande à moi puisque je vais aller,
comme tous les soirs, à l’Amandine. Mais Tonnégrande n’avait pas osé refuser
était déjà allé. Guillaume avait trouvé normal d’aller demander à un client de
lui acheter des cigarettes comme si c’était un copain. Si Claude était dépité,
j’étais offusqué. Il avait confondu le client et le copain.
Pour ma part, je n’ai jamais rendu service à un
serveur dans le cadre de son boulot pour des raisons non professionnelles à
part des petites conneries comme réparer un téléphone ou des bricoles comme ça.
Je l’ai fait de nombreuses fois dans le cadre du boulot (le leur). Par exemple,
s’ils sont dans le jus pour le dîner parce qu’il y a plus de monde que d’habitude,
je vais acheter du pain s’il n’y en a plus. Je suis allé une fois ou deux à la
cave pour régler la pression quand la bière était imbuvable. Je suis allé
vérifier les disjoncteurs un samedi quand tout n’arrêtait pas de sauter et que
le serveur était en panique, en l’absence des patrons. Par contre, jamais je n’ai
rendu un service personnel pendant les heures de travail si ça m’obligeait à
quitter le comptoir.
C’est dérisoire mais Guillaume avait franchi un pas. Je
ne sais pas comment l’exprimer tant c’est dérisoire mais il avait fait une
faute professionnelle. Pourtant, je l’adorais, on passait des heures à rigoler
mais, un vague incident, m’avait mis sur la défensive. On a même été potes sur
Facebook, ce que je m’interdis de faire avec des relations professionnelles (c’est
est une : je suis client) pour éviter de mélanger la vie privée et la vie
professionnelle.
Avec Clémence, c’était un peu pareil. On l’aimait
bien, une sorte de mascotte comme l’avais été Jim auparavant. Tous deux étaient
arrivés à la Comète comme serveur vers 23 ou 24 ans et ne connaissaient pas le
boulot. On se prenait au jeu et on les aidait discrètement. Je crois que c’était
avec Clémence, un client commande un Kir : elle ne savait pas ce que c’était.
Pour ne pas avoir l’air d’une cruche, elle nous avait demandé mais n’était pas
sûre d’avoir compris. Je lui ai dit de demander au client : cassis ou pêche,
alors que je considère qu’un Kir avec autre chose que du cassis est une
hérésie. Le client lui ayant dépondu : cassis, je lui ai dit quel verre
prendre et quoi mettre dedans…
Elle a fini par connaître le boulot et se retrouver
responsable, toute seule, un samedi midi. Il y avait plein de monde et nous n’arrivions
pas à être servis. Elle courrait dans tous les sens mais ne nous servait pas. Un
moment, après avoir commandé plusieurs fois, je lui dis : ne nous oublie
pas. Elle s’est mise en colère et nous avait répondu quelque chose comme :
« mais vous ne voyez donc pas que j’ai des clients, je
ne peux pas m’occuper de vous ». Elle avait oublié qu’on
était aussi des clients. Elle avait complètement zappé ce fait ! Soupe au
lait, je l’avais envoyé chier assez violemment. Un peu plus tard, elle s’était
sentie gênée ou je ne sais quoi. Elle s’était plainte à la patronne. Nelly
était venue me voir le lundi : ben qu’est-ce que t’as fait à Clémence. Clémence
lui avait raconté un truc et la patronne n’y croyait pas. J’ai donc raconté ma vérité, en rigolant. La patronne m’a
cru, elle me connaissait bien. Un peu après, j’ai pris des copains qui étaient
là comme témoin. Ils ont pu confirmer mes propos. Clémence a démissionné peu
après, nos relations avaient changé. Pas elle et moi mais elle et les clients
habitués. Elle a compris qu’elle n’avait pas réussi à se positionner. Comme
elle habite toujours dans le quartier, elle vient souvent nous voir et rigoler.
Elle a choisi de rester notre copine mais plus notre serveuse. C’est étrange.
J’ai eu le même problème avec Jim, à une époque, mais
je lui avais remonté les bretelles et il avait très bien compris. Dans le
service, nous sommes des clients comme les autres, ce qui ne nous empêche pas
de déconner.
Parmi les serveurs que je n’aimais pas dans le
service, il y a eu aussi Sébastien et Nicolas, du temps de Bruno. Sébastien
avait engueulé Jim comme du poisson pourri et je n’avais pas aimé. On n’engueule
pas des gens devant les autres. Jim était serveur depuis plus longtemps que lui
mais lui était le copain du patron. J’avais donc engueulé violemment Seb, ce
que je n’aurais d’ailleurs pas du faire, mais je voulais montrer à Jim qu’il
était protégé… Du coup, c’est le patron qui m’avait engueulé. Je lui avais
alors expliqué que Jim et moi serions encore dans le bistro quand lui aurait
pris une autre affaire (ce qui est d’ailleurs arrivé) et comme c’était un
patron, il avait vite compris qu’il fallait essayer de ne pas se fâcher avec
les meilleurs clients… La pression était retombée. Le patron, Seb et Jim sont
devenus les meilleurs copains du monde au bout de quelques mois. Mais je n’ai
jamais pu avoir confiance en Seb, depuis…
Il y avait un autre loufiat, Nicolas. On avait
sympathisé mais sans plus. Il jouait au patron et, moi aussi, peut-être. J’étais
dans un état d’esprit : vous pouvez toujours changer les serveurs, avec
tout ce que j’ai vu en trois ans, je fais plus partie du bistro que vous… Du
coup, il ne me faisait pas spécialement confiance mais on rigolait bien
ensemble. Par contre, je n’ai jamais vu un serveur aussi efficace, capable de
servir des dizaines de tables rapidement sans rien oublier, sans courir dans
tous les sens,… J’avais donc un très grand respect pour ses capacités
professionnelles… quand le patron était là. Quand le patron s’absentait, c’est
lui qui le remplaçait. Il commençait à picoler. Ils faisaient la foire au
comptoir.
J’avais essayé de faire comprendre au patron que son
affaire partait en sucette mais je ne pouvais pas dénoncer. Comme je discutais
souvent avec lui de la tenue des bistros et que c’était le premier bistro que
je connaissais bien où ce n’était pas le patron qui faisait la fermeture, j’avais
réussi à lui demander comment il faisait pour faire confiance (ben oui, ni vu
ni connu, le serveur peut embourber la moitié du pognon, surtout s’il est de mèche
avec le cuistot). Il m’avait dit que c’était normal et tout ça.
Le jour où il m’a annoncé qu’il jetait l’éponge, on a
longuement discuté. Il m’a dit que j’avais eu raison sur un tas de points. Et
je lui ai reparlé du soir. Il m’a engueulé (c’était fréquent, chez lui. Un
sanguin…). « Tu ne te rends pas compte de tout ce que je dois à Seb
et à Nicolas, ils font un superbe boulot le soir. » Il niait
complètement une évidence : il fermait parce qu’il n’avait pas réussi à
développer la clientèle du soir mais ça ne pouvait pas être de la faute des
serveurs, après tout ce que j’avais vu…
Je parle de quelques individus mais il y a eu un tas
de gens très bien ! Je ne vais pas les citer.
Par contre, le nouveau, ça ne va pas. Il a commencé il
y a quelques semaines. Déjà, il nous parlait de sa santé : c’est un sujet
à éviter. Ensuite, il a pris l’habitude d’interrompre les conversations entre
les clients pour évoquer des sujets qui lui passaient par la tête. Bref, il me
gonfle. Il est sympathique mais le courant ne passe pas. Ce n’est pas un pote
comme peuvent l’être tous les autres, comme le sont Christian ou Roger, comme l’étaient
Clémence, Guillaume, Vira, Yannick… récemment. J’ai toujours eu une forme d’affection
pour les serveuses et les serveurs des bistros où j’étais habitué, tolérant
leurs défauts, les aimant même pour leurs défauts…
Hier, j’ai fini le boulot tard. Je me suis pointé à la
Comète, il n’y avait plus personne au comptoir. Quelques personnes dinaient en
salle et en terrasse mais Jean-Claude n’était surchargé.
Tiens ! Ce billet était pour le blog bistro, je
vais le mettre dans le blog politique.
Hier soir, il m’a parlé politique. C’est un sujet à
éviter. Un patron ou un serveur doit toujours être à peu près d’accord avec les
clients. Il commence par me sortir un truc : tu te rends compte de la loi
qu’ils ont fait passer, on va encore payer… Je ne sais plus trop de quoi il
parlait mais c’était complètement faux. En tant que blogueur, je reçois un tas
de publications : le texte de loi qu’il évoquait était une rumeur, la
déformation d’un truc vrai… Pourtant, ce qu’il me présentait était bien…
Toujours est-il qu’il m’a gonflé, non pour le fait de
critiquer le gouvernement mais parce qu’il me parlait de politique en montrant
un engagement (à droite en l’occurrence).
Un peu plus tard, il me dit : ah ! Demain c’est
l’inauguration, j’espère qu’ils vont lui jeter des tomates.
Je n’ai jamais dénoncé un loufiat mais je tacherai d’expliquer
à la patronne que si je viens dans ce bistro le soir, dorénavant, quand ce n’est
pas Roger ou elle de fermeture, c’est bien parce que c’est le seul ouvert.
Mais qu'est-ce que ce billet fait ici, alors qu'il devrait être rangé dans les Agapes ? C'est de plus en plus le bordel, chez vous : on se croirait en France socialiste…
RépondreSupprimerC'est pour meubler.
SupprimerComme Hollande avec les réformes sociétales, alors ?
SupprimerIl y a un peu de ça.
SupprimerJe ne suis pas d'accord avec Didier Goux, le bistro est un sujet très important qui mérite ce blog.
SupprimerOui mais ce blog mérite-t-il le bistro ?
SupprimerJe ne sais pas mais il a le pouvoir de faire virer le serveur.
SupprimerJe n'abuse jamais du pouvoir.
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