15 juillet 2014

"Fait maison" : comment faire passer le label avant la qualité ?

Le décret sur le « fait maison » a été publié hier. La presse s’en amuse un peu, vu que certains volets sont délirants. Je vais donner mon avis : tout cela est complètement con mais le consommateur est con. Par exemple, ce n’est pas le Sri-Lankais dans l’arrière cuisine épluchant les patates qui fait la qualité des frites mais la qualité des pommes de terre, de l’huile, la cuisson,…

J’aime bien cet exemple dont j’avais déjà parlé : un client de la Comète était arrivé en retard pour déjeuner et il ne restait plus de frites fraiches. Le patron avait donc fait des frites surgelées. Le client était venu le féliciter ensuite : « Ah ! Vous vous êtes donc décidé à faire des frites fraiches ! C’est quand même meilleur. »

Retraduisons-le en exercice de philosophie et de mathématique : si un restaurant vend en moyenne 50 parts des frites par jour, comment fait-il si, un jour, il est amené à en vendre 70 ? Il doit préparer du stock d’avance et le récupérer d’un jour à l’autre ou utiliser des frites surgelées pour faire face ? Pour ma part, je préfère des frites surgelées plutôt que des machins restées 24 dans une cuvette…

Je pique l’illustration de ce billet au Parisien. Le restaurateur a le droit d’estampiller « fait maison » de la viande surgelée mais pas de la viande que le boucher aurait coupé en morceau et enfilé sur un pic sans aucune autre préparation.

Néanmoins, je vous invite à lire le décret (pdf). On commence par une définition générale : « Un produit brut […] est un produit alimentaire n’ayant subi aucune modification importante,  y compris par chauffage, marinage, assemblage ou une combinaison de ces procédés. » Jusqu’à là, rien de spécial ! C’est naturel.

C’est dans le détail que c’est rigolo. Par exemple, tous les produits reçus par le restaurateur peuvent être pelés, découpés, hachés,… à une exception près : les pommes de terre ne peuvent pas être achetées épluchées. Une seule exception, c’est fort, non ! Comme les produits peuvent être achetés congelés, un restaurateur pourra faire des frites surgelées labellisées « fait maison » à condition que les pommes de terre ne soient pas épluchées.

Néanmoins, je ne vais pas reprendre ce qui est dans la presse depuis trois jours.

Je pose une question, faites-en bon usage : à quoi sert ce décret ? J’ai la réponse : il empêche les restaurateurs de vendre du « fait maison » des produits qui n’en sont pas. Néanmoins, c’est une charge supplémentaire pour les services de l’Etat, je n’ai vu nulle part que le nombre de contrôleurs allait augmenter. Il n’y en a déjà pas assez pour assurer les contrôles normaux, dont ceux d’hygiène.

Le « fait maison » n’est en aucun cas un gage de qualité des produits. Je lisais un article de presse qui disait que la ratatouille maison avec les légumes bien frais était meilleure qu’une ratatouille surgelée. Je demande à voir les conditions de transport et de conservation des légumes frais. J’avais un copain qui avait des arbres fruitiers chez lui et qui congelait les fruits dès qu’il les cueillait. De fait, les tartes aux cerises qu’il nous faisait en décembre étaient bien meilleures que celles faites en saison avec des cerises entassées à Rungis.

Faisons un aparté : pour la première fois, un blog politique de renom (à Bicêtre et à Loudéac) va donner la recette des cerises congelées. Vous étalez des cerises sur un grand plateau. Vous le mettez au congélateur. Une fois que les cerises sont congelées, vous les rangez dans des sachets. Ca marche aussi avec les pastèques, parait-il. Ca marche aussi avec les morceaux de potirons. Mais tout l’art, avec les cerises, repose dans le fait de ne les mettre en sachet qu’une fois congelées.

Le « fait maison » n’a aucun intérêt pour les restaurants qui tournent bien et vendent des bons produits. Néanmoins, ils finiront par avoir une contrainte supplémentaire si leurs concurrents affichent du « fait maison ». A contrario, des salopards ne connaissant rien à la cuisine pourront utiliser un nouveau label qui ne manquera pas d’attirer les bobos. Ainsi, les restaurateurs qui tentent de baisser les prix vont se retrouver avec une charge supplémentaire (comme éplucher des pommes de terre à l’avance et jeter les invendus…). Au bénéfice du consommateur ?

La plupart des restaurants concernés par ce machin ont une clientèle d’habitués qui reviennent régulièrement parce qu’ils apprécient la boutique, les menus, les plats, le personnel,… Ce label ne leur servira à rien sauf qu’ils seront obligés de le mettre en œuvre pour tenter de capter de nouveaux clients. Les restaurants risquent d’être jugés à la faveur d’un label et pas à celle des qualités de sa cuisine et des produits vendus.

C’est une nouvelle porte ouverte à la boboïsation des consommateurs, que l’on peut déjà observer, comme toutes ces andouilles qui préfèrent le pain qui semble provenir directement de la campagne à la baguette blanche bien fraîche, celle faite par les boulangers en fin de matinée pour la livrer aux brasseries juste avant le service, ce bon pain blanc qui sert à faire des sandwichs.

Le label passe avant la qualité.

C’est une catastrophe.

4 commentaires:

  1. Il y a des choses impossibles à faire "maison" quand le nombre de couverts ou le nombre de plats proposés dans un restaurant est trop important, ce label est bidon.

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    1. Oui. Quand la carte est trop longue, je fuis le restaurant (sauf s'il est italien vu que les plats ont le même fond : le veau).

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  2. C'est un excellent billet... j'aime bien la conclusion.

    J'avais appris en te lisant le coup des cartes trop longues, à fuir. Ca m'amuse maintenant d'entendre mes proches se plaindre, quand on cherche un restaurant, que la carte (ou l'ardoise) n'offre que peu de choix.

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