Maintenant que la nouvelle carte des régions a été votée par
le parlement, je peux enlever ma casquette de blogueur de gouvernement et dire
tout le mal que j’en pense sans pincettes mais sans oublier, non plus, qu’il y
a environ soixante millions de français qui ont une idée de ce que devrait être
notre organisation territoriale. Cette réforme aura pour seul mérite de figurer
dans l’histoire de ce quinquennat… et d’avoir pu passer, ce qui n’est pas rien.
Ce volet ne porte que sur les régions mais n’oublions pas la
marche forcée vers les EPCI (intercommunalités), la suppression annoncée des
départements, le rôle croissant de l’Europe, la décentralisation et tout un tas
de machins. L’idée de base est que c’est un millefeuille, qu’il y a trop d’échelons,
patati patata.
Vous connaissez le principe de subsidiarité ? C’est un
machin libéral, gravé dans le marbre du traité de Maastricht. En gros, il faut
que les décisions politiques soient prises au niveau le plus proche du citoyen
quand elles peuvent l’être. Je sens que c’est trop compliqué pour vous car vous
avez déjà commencé l’apéro.
Prenons un exemple. En France, l’heure de fermeture des
bistros est fixée par un arrêté préfectoral (de mémoire, les municipalités
peuvent réduire les plages d’ouverture). Autrement dit, c’est un représentant
de l’Etat qui fixe cela au niveau des départements. Des dérogations
exceptionnelles sont possibles, par département (fête de la musique), par
commune (lors de fêtes locales,…) ou par bistro (organisation de concert ou
autre prétexte pour se saouler la gueule). Les dérogations ne peuvent être
accordées que par les préfets.
Même en lui donnant des coups de pied au cul, on ne m’enlèvera
pas de la tête que c’est complètement con, tout comme cette phrase. L’heure de
fermeture d’un bistro doit dépendre de considérations très locales comme les
nuisances sonores, la délinquance,… et d’autres machins rigolos. Par exemple,
si vous fermez le bistro d’un village à 11 heures et que ça oblige les gamins à
prendre leur bagnole pour aller picoler dans les bars de nuit de la grande
ville voisine, c’est mal.
Ce genre de décision devrait relever de la commune, voire du
quartier, avec un vague contrôle par les autorités ad hoc. Point barre. Vous n’êtes
pas d’accord avec moi ? Si, hein ! Cela fait de vous un vil libéral,
pro-européen et antirépublicain. Tant pis. Et la décision de la commune doit
être prise en toute intelligence avec le patron de chaque bistro. Après tout, s’il
joue le jeu en ne servant pas les clients déjà saouls comme des cochons et
empêche les fumeurs de faire trop de bruit dehors, pourquoi lui donner des
contraintes ?
Prenons un autre exemple. Imaginons que dans notre pays, les
bistros soient un service public, laïc, obligatoire (et gratuit serait la
cerise sur le gâteau mais il ne faut pas rêver). Nous aurions un Ministère des
Bistros. Je prends l’exemple des bistros pour rigoler mais vous pourriez
remplacer les bistros par les collèges et le ministère par celui de l’Education
Nationale.
Le ministère ne pourrait gérer tous les bistros depuis
Paris, chaque bistro devrait avoir un degré d’autonomie et l’organisation
devrait être déléguée soit à des administrations décentralisées soit à des
collectivités locales. Dans la mesure où il s’agirait d’un service national, le
financement serait assuré par l’Etat. En toute logique, ce sont des administrations
décentralisées de l’Etat qui devraient s’en occuper mais il ne serait pas idiot
de laisser gérer cela par les collectivités, donc les élus locaux. Tiens !
Refilons les bistros aux régions. Jean-Paul Huchon, président de la région
Ile-de-France pourrait répondre : « hé ho, ça me casse les couilles,
je vais refiler le petit aux départements. » Anne Hidalgo, chef du
département de Paris, pourrait dire : « putain de bordel, vous croyez
que je n’ai que ça à foutre, que les arrondissements se démerdent ! »
Le chef du Val-de-Marne penserait alors : « Tiens tiens, elle n’est
pas folle mémère ! Hop ! Les communes du département n’ont qu’à se
démerder… ». Le maire du Kremlin-Bicêtre pourrait se dire : « ah
mais ça m’énerve, je vais voir avec mes collègues de l’interco si on ne peut
pas bosser ensemble. » Celui de Vincennes, par contre, pourrait dire « Top
là, ça me va ! ».
Le président de la Région « Midi-Pyrénées » quant
à lui réfléchirait à haute-voix : « Tiens ! Je pourrais laisser
l’interco de Toulouse s’occuper de ses bistros, ils sont assez grands, et m’occuper de tous les autres
pour garantir une cohésion dans le territoire, tout en travaillant de près avec
les autres agglomérations. »
Pour me faire plaisir, vous admettrez aisément que mon
raisonnement n’est pas trop crétin : l’Etat ne peut pas tout gérer, il
faut de la décentralisation mais il faut que l’entité en charge de chaque
dossier soit la plus adaptée possible au dossier mais aussi aux contraintes
locales. C’est quand même délirant de penser que le maire d’un bled de 100
habitants ait un statut similaire à celui de Paris (et encore, lui est OPJ, pas
celui de Paris, me semble-t-il, la fonction étant assurée par le préfet de
police).
C’est un peu ce qui me gêne, dans cette réforme
territoriale, c’est qu’on ne sent pas cette évolution vers une géométrie
variable (sauf peut-être à Lyon) et que l’on fait un peu tout et n’importe quoi
avec l’intercommunalité (voir mon billet de dimanche, par exemple).
On focalise sur les structures : régions, départements,
intercommunalités et communes parce qu’on a décidé qu’il fallait ces structures
(et que trois sont inscrites dans la Constitution). Prenons un exemple :
Loudéac. C’est la septième ville du département mais parmi les villes plus
grosses, il y en a deux (Ploufragan et Plérin) qui sont dans la banlieue de la
préfecture et une autre (Lamballe) à une vingtaine de kilomètres de Saint
Brieuc. Pourquoi mettre toutes ces communes sur le même plan alors qu’il
semblerait de faire un pôle urbain autour de Saint Brieuc et que Loudéac n’a
vocation qu’à être le chef-lieu d’une intercommunalité de communes rurales et à
s’associer avec des communes un peu moins voisines pour donner du poids au
Centre Bretagne dans une région essentiellement agricole mais dont toutes les
villes, sauf la plus grosse, sont tournées vers la mer ?
Voila. J’ai parlé. Je vais résumer : les habitants du pôle
urbain de Saint Brieuc disposent d’un réseau de bus pour aller au bistro. Pas
nous.
"Vous connaissez le principe de subsidiarité ? C’est un machin libéral"
RépondreSupprimerNon, c'est un principe chrétien dont on trouve les prémices dans les écrits des Pères de l'Eglise, qui a été développé par saint Thomas d'Aquin et qui a été formalisé par le pape Léon XIII dans son encyclique Rerum novarum qui pose la doctrine sociale de l'Eglise. Les libéraux ont la fâcheuse tendance de s'approprier tout ce qui peut avoir quelque intérêt pour eux, quitte à le détourner de son but premier lorsque ça les arrange.
Je sais (si...) mais j'ai fait un contre détournement pour faire chier tous ceux qui seraient d'accord avec moi.
Supprimer(Je reviens sur ma parenthèse : je le sais mais je me plante souvent néanmoins, tant ils l'utilisent).