En salle

25 novembre 2014

La réforme territoriale et les bistros

Maintenant que la nouvelle carte des régions a été votée par le parlement, je peux enlever ma casquette de blogueur de gouvernement et dire tout le mal que j’en pense sans pincettes mais sans oublier, non plus, qu’il y a environ soixante millions de français qui ont une idée de ce que devrait être notre organisation territoriale. Cette réforme aura pour seul mérite de figurer dans l’histoire de ce quinquennat… et d’avoir pu passer, ce qui n’est pas rien.

Ce volet ne porte que sur les régions mais n’oublions pas la marche forcée vers les EPCI (intercommunalités), la suppression annoncée des départements, le rôle croissant de l’Europe, la décentralisation et tout un tas de machins. L’idée de base est que c’est un millefeuille, qu’il y a trop d’échelons, patati patata.

Vous connaissez le principe de subsidiarité ? C’est un machin libéral, gravé dans le marbre du traité de Maastricht. En gros, il faut que les décisions politiques soient prises au niveau le plus proche du citoyen quand elles peuvent l’être. Je sens que c’est trop compliqué pour vous car vous avez déjà commencé l’apéro.

Prenons un exemple. En France, l’heure de fermeture des bistros est fixée par un arrêté préfectoral (de mémoire, les municipalités peuvent réduire les plages d’ouverture). Autrement dit, c’est un représentant de l’Etat qui fixe cela au niveau des départements. Des dérogations exceptionnelles sont possibles, par département (fête de la musique), par commune (lors de fêtes locales,…) ou par bistro (organisation de concert ou autre prétexte pour se saouler la gueule). Les dérogations ne peuvent être accordées que par les préfets.

Même en lui donnant des coups de pied au cul, on ne m’enlèvera pas de la tête que c’est complètement con, tout comme cette phrase. L’heure de fermeture d’un bistro doit dépendre de considérations très locales comme les nuisances sonores, la délinquance,… et d’autres machins rigolos. Par exemple, si vous fermez le bistro d’un village à 11 heures et que ça oblige les gamins à prendre leur bagnole pour aller picoler dans les bars de nuit de la grande ville voisine, c’est mal.

Ce genre de décision devrait relever de la commune, voire du quartier, avec un vague contrôle par les autorités ad hoc. Point barre. Vous n’êtes pas d’accord avec moi ? Si, hein ! Cela fait de vous un vil libéral, pro-européen et antirépublicain. Tant pis. Et la décision de la commune doit être prise en toute intelligence avec le patron de chaque bistro. Après tout, s’il joue le jeu en ne servant pas les clients déjà saouls comme des cochons et empêche les fumeurs de faire trop de bruit dehors, pourquoi lui donner des contraintes ?

Prenons un autre exemple. Imaginons que dans notre pays, les bistros soient un service public, laïc, obligatoire (et gratuit serait la cerise sur le gâteau mais il ne faut pas rêver). Nous aurions un Ministère des Bistros. Je prends l’exemple des bistros pour rigoler mais vous pourriez remplacer les bistros par les collèges et le ministère par celui de l’Education Nationale.

Le ministère ne pourrait gérer tous les bistros depuis Paris, chaque bistro devrait avoir un degré d’autonomie et l’organisation devrait être déléguée soit à des administrations décentralisées soit à des collectivités locales. Dans la mesure où il s’agirait d’un service national, le financement serait assuré par l’Etat. En toute logique, ce sont des administrations décentralisées de l’Etat qui devraient s’en occuper mais il ne serait pas idiot de laisser gérer cela par les collectivités, donc les élus locaux. Tiens ! Refilons les bistros aux régions. Jean-Paul Huchon, président de la région Ile-de-France pourrait répondre : « hé ho, ça me casse les couilles, je vais refiler le petit aux départements. » Anne Hidalgo, chef du département de Paris, pourrait dire : « putain de bordel, vous croyez que je n’ai que ça à foutre, que les arrondissements se démerdent ! » Le chef du Val-de-Marne penserait alors : « Tiens tiens, elle n’est pas folle mémère ! Hop ! Les communes du département n’ont qu’à se démerder… ». Le maire du Kremlin-Bicêtre pourrait se dire : « ah mais ça m’énerve, je vais voir avec mes collègues de l’interco si on ne peut pas bosser ensemble. » Celui de Vincennes, par contre, pourrait dire « Top là, ça me va ! ».

Le président de la Région « Midi-Pyrénées » quant à lui réfléchirait à haute-voix : « Tiens ! Je pourrais laisser l’interco de Toulouse s’occuper de ses bistros, ils sont assez grands, et m’occuper de tous les autres pour garantir une cohésion dans le territoire, tout en travaillant de près avec les autres agglomérations. »

Pour me faire plaisir, vous admettrez aisément que mon raisonnement n’est pas trop crétin : l’Etat ne peut pas tout gérer, il faut de la décentralisation mais il faut que l’entité en charge de chaque dossier soit la plus adaptée possible au dossier mais aussi aux contraintes locales. C’est quand même délirant de penser que le maire d’un bled de 100 habitants ait un statut similaire à celui de Paris (et encore, lui est OPJ, pas celui de Paris, me semble-t-il, la fonction étant assurée par le préfet de police).

C’est un peu ce qui me gêne, dans cette réforme territoriale, c’est qu’on ne sent pas cette évolution vers une géométrie variable (sauf peut-être à Lyon) et que l’on fait un peu tout et n’importe quoi avec l’intercommunalité (voir mon billet de dimanche, par exemple).

On focalise sur les structures : régions, départements, intercommunalités et communes parce qu’on a décidé qu’il fallait ces structures (et que trois sont inscrites dans la Constitution). Prenons un exemple : Loudéac. C’est la septième ville du département mais parmi les villes plus grosses, il y en a deux (Ploufragan et Plérin) qui sont dans la banlieue de la préfecture et une autre (Lamballe) à une vingtaine de kilomètres de Saint Brieuc. Pourquoi mettre toutes ces communes sur le même plan alors qu’il semblerait de faire un pôle urbain autour de Saint Brieuc et que Loudéac n’a vocation qu’à être le chef-lieu d’une intercommunalité de communes rurales et à s’associer avec des communes un peu moins voisines pour donner du poids au Centre Bretagne dans une région essentiellement agricole mais dont toutes les villes, sauf la plus grosse, sont tournées vers la mer ?


Voila. J’ai parlé. Je vais résumer : les habitants du pôle urbain de Saint Brieuc disposent d’un réseau de bus pour aller au bistro. Pas nous.

2 commentaires:

  1. "Vous connaissez le principe de subsidiarité ? C’est un machin libéral"

    Non, c'est un principe chrétien dont on trouve les prémices dans les écrits des Pères de l'Eglise, qui a été développé par saint Thomas d'Aquin et qui a été formalisé par le pape Léon XIII dans son encyclique Rerum novarum qui pose la doctrine sociale de l'Eglise. Les libéraux ont la fâcheuse tendance de s'approprier tout ce qui peut avoir quelque intérêt pour eux, quitte à le détourner de son but premier lorsque ça les arrange.

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    1. Je sais (si...) mais j'ai fait un contre détournement pour faire chier tous ceux qui seraient d'accord avec moi.

      (Je reviens sur ma parenthèse : je le sais mais je me plante souvent néanmoins, tant ils l'utilisent).

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