Pour Patrice, je plante le décor : j'arrive à l'Amandine vers 12h20. Il y avait Corinne, le vieux Jacques et le vieux Roger. Ils papotent (mais je n'étais là que physiquement, je discutais par mail avec un copain). A un moment, Roger dit "et en plus la mairie va supprimer le colis de Noël pour les anciens. Ils ne font plus rien pour les vieux".
Ça me fait rigoler. En fait si Le Kremlin-Bicêtre reste à gauche, c'est aussi parce que la mairie envoie des colis aux vieux pour Noël ! Elle est belle la politique. Je ne sais pas si c'est vrai, cette suppression. Mais le maire est probablement à son dernier mandat et les élections sont dans longtemps.
Toujours est-il que je suis entré dans une colère noire (totalement simulée, seuls les autres l'ont compris, dont le serveur, David, qui était plié de rire).
Du genre : putain de vieux con, tu manges tous les jours à la cantine municipale pour 2€50 (je ne connais pas le prix mais je ne dois pas être loin), environ 200 ou 250 jours par an et tu dis que la mairie ne s'occupe pas des vieux et tu gueules parce que tu n'auras pas ton colis électoral pourri à 30 euros.
Il trépignait sur place. Sa colère n'était pas simulée. Il répond : ce n'est pas la mairie qui paye pour cela, je paye ! Avec mes impôts. J'y ai droit.
Corinne et Jacques semblaient désespérés (par les propos débiles du sénile mais aussi par devoir admettre qu'ils sont d'accord avec moi ; ils m'aiment bien mais me considèrent comme un vil gauchiste).
Je réponds : oui mais Corinne et moi, payons aussi des impôts locaux sans bénéficier de la cantine des vieux.
Il dit : oui mais quand vous serez à la retraite, vous aurez aussi accès à la cantine des vieux donc je paye ma cantine.
Je fais un aparté : la cantine des vieux permet non seulement aux "anciens jeunes" de manger à un tarif réduit, donc de manger pour les plus démunis, mais a aussi un rôle social important puisqu'elle leur permet d'éviter la solitude.
Tous les clients du bistro regardaient notre engueulade (d'autant qu'ils ont bien vu que me tournais souvent de l'autre côté pour rigoler). Le vieux Roger trépignait. Tout rouge. Comme le fils de Soupalognon y Croûton (de mémoire) dans Astérix. Corinne commençait elle-même à être en colère et Jacques avait honte pour le vieux Roger. Quant à David, il était plié de rire dans son coin (tout le monde prend Roger pour un vieux con mais je suis le seul à le lui dire avec Patrice, à l'occasion).
Je lui réponds donc : putain de vieux con. Corinne passera probablement sa retraite dans le Berri et moi en Bretagne. Nous n'avons aucune velléité à rester ici. Et nous serons peut-être morts. Nous payons nos impôts au nom de ce qu'on appelle la solidarité et nous sommes fiers d'habiter dans une commune qui "offre" des repas aux vieux.
Il est alors entre dans un délire du genre : on m'a dit, quelqu'un de confiance, que la mairie faisait des réceptions en cachettes aux frais du contribuable. C'est le vieux Jacques qui lui a répondu : tu nous diras qui t'a dit cela et tu n'oublieras pas qu'il y a des frais de représentation et tout ça et que toutes les collectivités et entreprises le font.
J'ai dit : oui. Et tu penseras, vieux con de Roger, à réfléchir à cette notion de solidarité. Sur ce, j'ai rendez-vous à la Comète. Je me casse.
Ce que j'ai fait. Sous les applaudissements (ou presque) du bistro.
À moitié traumatisé.