En salle

09 mars 2017

La dame est tombée

Tonnégrande était aux premières loges, fumant une cigarette en terrasse. J'étais au comptoir et j'ai loupé le début. Il m'a raconté. La dame avec sa canne anglaise s'est arrêtée sur le trottoir en face de l'entrée de la Comète. Elle est restée quelques minutes puis s'est laissé tomber. Elle semblait vouloir dormir là. Le remue-ménage m'a sorti de ma léthargie et du bistro. 

On s'est approché d'elle. Au début, je pensais que ce n'était qu'une pochetronne ordinaire en bout de course.  Je me disais qu'on allait l'aider à bouger de quelques mètres pour la mettre sur un banc ou sur les escaliers de Leclerc, comme nous aurions pu faire avec une clochardes. 

Notons bien qu'il n'y a aucun cynisme dans mes propos, aucun mépris. Les gens se saoulent la gueulent s'ils veulent. On les range dans un coin pour qu'ils évitent leur pire nuit. Ça fait des années que je traîne dans le quartier. Je fais ce que je peux. Je paye des verres aux gugusses qui veulent se réchauffer dans le bistro. J'appelle le 115 quand il fait froid. Alors la dame, je l'aurais bien mise sur un transpalette pour la poser dans un endroit plus "cool". 

On s'est approchés quand même pour voir. La dame n'était pas une SDF ni même probablement une vraie pochetronne. Elle avait simplement trop bu et était "en détresse". On lui a demandé si elle voulait qu'on appelle pompiers. Elle a dit oui. 

Tonnégrande l'a fait et je suis resté auprès d'elle. Évidemment, j'ai donné le mauvais numéro à cette andouille. Il a appelé le 115 au lieu du 18. Il a donc traîne de standard en standard. 

Je suis resté près de la dame. Je ne suis pas un bavard et n'avait aucun mot pour la réconforter mais j'arrivais à convaincre les passants qu'on s'en occupait. Les gens sont cons. Il y a même un client du bistro qui voulait la ramener chez elle, mais je n'avais pas confiance. Il ne savait pas où elle habitait et je me méfie toujours des cons qui veulent faire le bien. Je lui ai demandé d'arrêter d'autant que la dame voulait réellement être prise en charge par les pompiers selon ce que je comprenais de ses propos dans son espèce de comas. Le type m'a envoyé chier en me disant : moi, je sais ce que je fais, j'ai été bénévole chez Emaus. 

Les cons sont toujours des cons. Il a fini par partir, encouragé par un autre client. 

Pendant ce temps, Tonnégrande montrait une certaine exaspération après sa succession d'appels, de standards,... je croyais qu'il avait abandonné mais je me trompais. Du coup, j'ai appelé les pompiers. J'ai expliqué mon cas à un gugusse qui m'a orienté vers un autre standard. J'attendais quand un camion de pompiers est arrivé. Tonnégrande avait réussi. J'ai donc raccroché 

On discute deux minutes avec les sapeurs sans aucun reproche. Non, on ne connaît pas la dame. Non, on ne sait pas pù elle habite, probablement dans le quartier. Ils nous remercient. On essaie de leur faire comprendre que c'est nous qui les remercions. 

On les laisse bosser. 

Mon téléphone sonne. C'était un pompier qui se demandait pourquoi j'avais raccroché. Je lui explique : un autre type avait déjà appelé probablement et vos collègues sont arrivés entre temps. 

Ces gens sont fantastiques. 

On aura sans doute jamais aucune nouvelle de la dame. Et c'est aussi bien. Outre le fait qu'on s'en fout, c'est sa vie. 

Il n'empêche qu'il y a huit semaines, je suis moi-même tombé devant la Comète. Depuis, je marche avec une canne anglaise, comme la dame (elle ne me sert à rien, elle n'a pas touché le sol aujourd'hui. Elle me rassure). Des tas de gens sont passés et ont proposé de m'aider. 

J'ai refusé. 

Je crois qu'on a rassuré la dame. Je ne sais pas ce qu'on aurait pu faire d'autre. 


4 commentaires:

  1. Vous avez fais ce qu'il fallait bravo! Du réconfort et de l'altruisme, elle a eu de la chance d'être tombée sur de bons samaritains! Appeler les pompiers était la meilleure chose à faire il vaut mieux prévenir que guérir et être a l'écoute est primordial pour une victime d'un malaise! Réactivité et réconfort avant l'arrivée des secours cela peu sauver une vie!

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