Pendant que les réseaux sociaux continuent à s'engueuler au sujet de la nécessité de faire barrage et tout, il se passe des choses moches dans la vraie vie. Je pense évidemment à Catherine et Didier mais aussi à ma bande de potes de Loudéac. Elle a un membre de moins depuis hier.
Dominique, DG pour les intimes, nous a quitté.
Je le connaissais depuis 1977. J'avais 11 ans. J'ai quitté le domicile parental à 18 ans. Depuis, je rentre souvent au pays et c'est la même bande que je retrouve tous les samedis. Fabienne, Karine, Gilles et Philippe (même si Karine n'était pas dans "la même bande" à l'époque. Les derniers résistants... Certains ont arrêté de sortir, d'autres ont quitté la région. Je suis peut-être le dernier à avoir conservé cet amour des bistros. Mais c'est un autre sujet.
Ou pas.
Fabienne (Bibine à l'époque) a rendu un court hommage dans Facebook. Je voulais en faire un plus long. Il aurait eu les bistros en toile de fond. La bande est restée et les bistros ont changé.
Dominique était malade depuis vingt ans, avec des hauts et des bas. On ne le voyait plus au bistro depuis quelques années. La dernière fois que je l'ai vu, c'était en août 2005, je crois. Je lui avais rendu quelques services (des histoires d'ordinateur). Seul Gilles le voyait encore régulièrement. C'est surtout à lui que je pense aujourd'hui.
Dans son hommage, Fabienne parlait des services qu'on se rendait mutuellement. Dans mon billet, j'en aurais rigolé. Dominique était comme ça les copains. Il trouvait normal, par exemple, que je passe une partie de mon temps de repos à m'occuper de ses problèmes d'ordinateur. Je suis l'informaticien de la bande. Et je trouvais ça normal. Une bande, quoi !
Je vais raconter une anecdote. Une première. Il y a trois ou quatre (ou cinq...), Gilles me dit qu'il était emmerdé parce qu'il avait absolument besoin d'une bagnole et que la sienne allait tomber en panne. Je lui ai dit que j'en avais une et que je ne m'en servais pas. Je lui ai proposé de la lui donner. Cela n'avait rien d'altruiste de ma part. La Xsara avait perdu son pot d'échappement et j'ai tergiversé pour la réparer (je ne faisais alors des grands trajets et il me fallait une voiture en laquelle j'avais confiance). Du coup, elle n'avait pas roulé pendant deux ans. Mon "je te donne la mienne" était sorti du cœur ! Ouf ! Une solution... ce n'était pas une épave, seulement une voiture qui n'avait plus de pot et n'avait pas roulé pendant deux ans.
Gilles s'était donc retrouvé avec voiture à Paris qui ne pouvait pas rouler et nécessitait des travaux sérieux. Dominique, qui était mécanicien, a alors loué un plateau, était venu chercher la voiture, l'avait ramenée chez lui et réparée. C'était normal pour lui. Dans la bande, chacun sa spécialité. La sienne était la mécanique.
La mienne est de rédiger des billets de blog à un comptoir de bistro avec la larme à l'œil. Mes excuses pour les fautes. Je ne vois pas l'écran...
C'était Dominique. Rendre service et être parfait. Je me rappelle d'une fois où ma mère était tombée en panne de gaz. Je lui avais demandé de passer pour changer la bouteille (il y en avait une d'avance mais comme je ne rentrais pas avant plusieurs semaines, on ne pouvait pas attendre). Il était venu et avait constaté que les tuyaux étaient périmés. Depuis 10 ans. Ma spécialité est l'informatique. Pas le tuyau de gaz. Vous ne pouvez pas savoir à quel point il m'avait fait chier.
Rendre service. Toujours.
Je vais raconter deux anecdotes.
La première. Ma mère avait fait refaire une allée devant chez elle maisles ouvriers étaient neuneus. Le portail en fer forgé ne fermait plus, les pavés étaient trop hauts. Je lui avais demandé de passer pour régler ça en pensant qu'il allait scier les pieds (le genre de bricolage qu'on ne fait pas toujours soi-même). Il était venu. Plutôt que de faire le truc simple que je lui avais demandé, il avait dessoudé les gongs pour les souder à une hauteur qui permette de fermer la porte. Les pieds n'étaient pas sciés. Moi, si...
La deuxième. En 1991, j'étais directeur adjoint d'un centre de vacances. Je devais partir quatre ou cinq jours avant l'arrivée des enfants pour préparer le terrain. Il a décidé de venir m'aider. Son patron lui a refusé ses congés (il était mécanicien agricole, des vacances en été...). Il est venu quand même. Il a fait 2000 km en moto en risquant de se faire virer pour me rendre un service que je n'avais pas demandé mais qu'il pensait me devoir. Encore que le mot "devoir" n'est pas adapté.
Tiens ! Une dernière. Quand j'ai acheté mon appartement, en 1994, Gilles et Patrick (un autre, de la bande de l'époque, pas avare sur les services, non plus) étaient venus m'aider à aménager. Quelques mois après, Dominique avait décidé que j'avais besoin de lui pour du bricolage, ce qui n'était pas faux, je dois avouer. Il était donc venu sans que je ne lui demande quoi que ce soit et avait bosser dans l'appartement à des trucs auxquels je n'avais pas pensé.
Et vers 1997, il est tombé malade. La dépression qu'on appelle ça. Je ne suis pas toubib. Parfois, il devenait une espèce de zombie. Une fois, je rentre du boulot, il était à la Comète. Il avait fait 430 km pour me voir parce qu'il pensait que j'avais besoin d'aide. Pour un type casanier comme moi, recevoir un pote à l'improviste, heu...
Le premier matin, vers 4 heures, il avait découvert mon coupe ongle qu'il avait décidé d'essayer dans ma salle de bain. Clic clic clic. Pendant plus d'une demi-heure. Pendant ce séjour, je ne sais pas ce qui lui passait par la tête mais il entamait un rouleau de PQ neuf par jour. Je m'étais retrouvé avec plusieurs rouleaux entamés sur le couvercle sur le couvercle de ma chasse d'eau.
Seule l'amitié permet de supporter cela. Non. Seule l'affection.
Maintenant il est mort. C'est l'issue logique de la vie. Il a eu 51 ans en février. Moi, c'était dimanche dernier.
Ce matin, c'était le bordel dans le metro, ligne 1. Pour la première fois, j'ai profité de mes cheveux blancs pour avoir une place assise.
Sachons profiter de notre vieillesse quand on a la chance de l'avoir.