En ce
cinquante-troisième jour de confinement, j’ai décidé de ma marier très
rapidement en constatant que ce que j’avais prévu à manger pour ce midi :
des saucisses (knacks d’Alsace) avec des épinards. Je me suis trompé. Je devais
les manger hier avec les patates et le pavé de bœuf avec les épinards. C’était
trop tentant.
A part ça,
je crois qu’hier soir, je me suis résolu à ne pas aller en Bretagne rapidement.
En d’autres termes, ça veut dire que, avec toutes ces conneries, je commence à
m’en foutre, une sorte de résignation… tout en faisant tout pour y aller. Je me
suis même décidé à faire quelques emplettes dès mon arrivée sur place. Je
détaille pour ma mère, ma sœur et mon frère s’ils me lisent : un fauteuil
de bureau pour remplace la chaise avec le dossier cassé dans ma chambre, un
téléviseur pour remplacer l’autre qui, même s’il fonctionne à merveille, me
rappelle trop l’ancien monde avec ses quarante kilos, un lave-vaisselle car je
ne suis pas doué pour les tâches ménagères, un taille-haie de la même marque
que la tondeuse pour pouvoir avoir la même batterie et une lampe pour la
véranda où j’aime bien traîner le soir quand les bistros sont fermés. A la
réflexion, je me dis que je pourrais y installer un fauteuil.
J’ai
toujours eu « la peur du gendarme » : je me fous de prendre une
prune à 135 euros si mon attestation n’est pas valable, mais j’ai peur de me
faire enguirlander par un keuf. Rien que pour aller chez Leclerc, à moins de
vingt mètres de la sortie de l’immeuble, je prends mon ausweis et regarde bien
si la maréchaussée n’est pas dans le coin. Le pire est que je pourrais y aller
en passant par le parking du supermarché. Je me rappelle de chacune de mes rencontres
avec les casques bleus. Tenez ! La première fois où j’ai été contrôlé, c’était
le soir de mes dix-neuf ans et de la victoire de l’équipe de l’IUT au
championnat universitaire de football. Moi qui ai une mauvaise mémoire, c’est
le seul souvenir que j’ai de cette année à part mon premier cours de
probabilité en amphi, une soirée où nous avions fait du riz-au-lait comme dîner
(pourquoi se rappeler ce genre de truc ?) et quelques soirées bien chaudes
à la cité U. Et bien sûr, Yvette la patronne du bar de La Brise et son époux à
la retraite qui battait tous les étudiants au babyfoot. Le soir de ce contrôle,
j’étais évidemment saoul comme un Polonais. Ils n’étaient pas de sortie pour
traquer les pochetrons mais un type en cavale et ils pensaient que c’était moi
car j’avais fait demi-tour devant eux puis tenté de les semer avant de m’arrêter
au bout de quelques kilomètres dans un moment de lucidité. Ils avaient fait
preuve d’une rare mansuétude et ont bien rigolé quand je leur ai dit que l’allais
en boite de nuit pour fêter ça mais que j’avais fait demi-tour car je m’étais
trompé de route. Ils m’avaient dit « c’est bon pour cette fois, mais ne
buvez pas une goutte d’alcool dans la boite ». Je n’avais pas obtempéré.
J’ai une
mauvaise mémoire mais pas pour ce qui concerne le boulot au niveau
réglementaire et fonctionnel… C’est complètement con, j’oublie d’aller à des
réunions mais je suis bien payé car je suis incollable les fois où j’y vais et
parce que j’ai une imagination professionnelle hors du commun : je trouve
des solutions pour répondre à un besoin des clients (et actionnaires) à 20 000
euros alors que les collègues sont proches du million tant ils ont pris la voie
habituelle. Mon meilleur souvenir est d’avoir évité six cent mille euros d’investissement
en quarante-cinq minutes de réunion. Le pire est de ne pas avoir réussi à
décider le chef à dépenser un million pour nous éviter d’avoir à dépenser trois
millions dans les cinq ans (l’avenir m’avait donné raison).
J’ai une
mauvaise mémoire : j’ai oublié d’acheter de la crème fraiche mais aussi du
pinard en quantité suffisante pour un week-end de trois jours.
N’oublions
pas que nous sommes le huit mai. J’ai regardé la cérémonie à la télé (façon de
parler : c’était sur l’écran de l’iPhone ce qui me fait d’ailleurs rigoler
vu que je viens de dire que je changerai la télé dans la maison de ma mère
alors que je n’en ai pas chez moi). En gros, je regarde la télévision trois
fois par an chez moi : le 14 juillet, le 11 novembre et le 8 mai. Cette
année, j’ai battu mon record avec deux discours de Macron et un de Philippe en
plus des émissions traditionnelles.
Plus j’y
pense, plus la stratégie de déconfinement me paraît idiote. Inciter les
Parisiens et autres banlieusards à rester dans leur coin alors que les
transports en commun seront l’enfer est idiot. Il n’y aurait aucun danger à
circuler (par contre, il faut interdire les déplacements pour la Pentecôte et l’Ascension).
Les rassemblements de plus de dix personnes restent interdits mais pas dans un
cadre familial ou privé. Dans la véranda dont je parlais, je peux mettre quinze
personnes (debout) afin qu’on partage bien nos virus mais je prendrai soin à ce
qu’ils arrivent un par un pour ne pas s’entasser dans la rue et être sûr qu’ils
respectent les règles.
Cela me fait
penser que parmi mes emplettes programmées, il ne faut pas que j’oublie la
tireuse à bières (mais comme je disais hier, les bistros bretons auront ouvert avant
le déconfinement du Kremlin-Bicêtre). J’ai aussi oublié l’ordinateur portable.
Utiliser celui du bureau pour des raisons personnelles pendant le confinage est
tolérable, pas après.
Pendant la
crise, nous n’avons pas parlé d’une information : la prise de contrôle par
La Banque Postale de la Caisse Nationale de Prévoyance et la probable
acquisition par cette nouvelle entité de HSBC France. Vous me direz que tout le
monde s’en fout et vous auriez parfaitement raison mais c’est fou que je sois
passé au travers de cette nouvelle alors que mon employeur devient le taulier
de la nouvelle boutique et que je serai probablement très concerné pour la
gestion des distributeurs de billets de cette banque.
Il n’empêche
que la construction du monde d’après se poursuit et qu’une entité publique se
situe au centre des processus capitalistiques du moment.
Ce qui s’arrose.
Ah ouais, les knacks avec les épinards, c'est pas terrible. Vous auriez dû ressortir acheter une baguette et vous faire deux hot dogs. En pensant à bien mettre leurs masques aux dogs…
RépondreSupprimerOuais.
SupprimerTa gueule.
RépondreSupprimerNous pouvons être tranquilles avec HSBC.
RépondreSupprimerComme les liens sont interdits ici, je ne m' adresserai qu'aux anglophones :
"Antoine Cahuzac, HSBC’s chief executive for global banking in the Middle East."
PS - C'est le frère de Jérôme.
2ème PS - Depuis cet article, il a changé de boîtes plusieurs fois (dont directeur des Énergies Renouvelables à EDF)
3- Je ne sais pas si, lui aussi, est socialiste.