Un copain me faisait remarquer que le projet de Jospin en 1997
(et celui de Mitterrand en 1981) était bien plus à gauche que celui des
insoumis et était donc surpris des prises de position des gens de la gauche
modérée qui refusent l’accord Nupes.
Je ne vais pas beaucoup revenir sur 81, c’est trop vieux
mais les législatives ont été gagnées dans la foulée de la présidentielle tout
comme les prochaines le seront… Mitterrand a surtout été élu pour virer Giscard
et « la majorité plurielle » en réponse à une dissolution prononcée
par Chirac et en conclusion d’une période politique assez minable pour le gouvernement
d’avant. Les circonstances ne sont pas les mêmes.
Je suis sans doute trop jeune pour parler du programme de 81
(programme descendant du « programme commun », d’ailleurs, ce n’était
pas une improvisation entre deus suffrages successifs) mais il me semble qu’il
portait un projet de société avec une diminution de l’importance du travail (la
retraite, les 39 heures et la cinquième semaine) dans la société, une amélioration
de la vie politique (la proportionnelle), la paix (dont une franche opposition aux
pays communistes, ne l’oublions pas) et, bien sûr, la justice avec l’abolition
de la peine de mort sans oublier la culture avec notamment les grands projets,
une meilleure liberté de la presse...
Celui porté par Jospin, en 1997, est beaucoup plus présent,
dans nos mémoires (mais il faut reconnaitre qu’on a bien plus en tête le bilan
de la gauche plurielle que des raisons de son accession au pouvoir ; je ne
crois pas d’ailleurs, qu’il y a des points vraiment dominants, dans la campagne).
Le projet de société était clair, également, avec les 35 heures. On va dire « bon ben les gars, on a du chômage de masse, il est temps
de partager les heures de travail » (la question n’est pas, ici, d’être
pour ou contre). On avait aussi les emplois jeunes. On va dire : « bon ben les gars, les jeunes n’arrivent pas à avoir une
première expérience, on va leur filer du boulot ». Il y avait le
report des cotisations sociales maladie sur la CSG. On va dire : « bon ben les gars, il n’y a pas de raison que le coût de
la santé soit prélevé sur les revenus du travail ».
Et même si la dernière proposition est une baisse du pouvoir
des syndicats, il était assez facile, pour les forces de gauche, de se rallier à
tout ça.
Le programme « l’avenir en commun » (le fondement
du Nupes) ne repose pas sur des projets de sociétés mais sur un catalogue de
mesures. Vous noterez que je le dis depuis que j’ai commencé à parler de la
présidentielle sur le blog, sans doute depuis l’an dernier : il faut
travailler sur le projet avant de choisir un candidat et de bâtir un programme.
S’il n’y avait pas, pour moi, quelques aspects rédhibitoires,
on pourrait facilement être convaincu par ce catalogue comme on pouvait dire
que celui de La Redoute était bien branlé… Le projet est uniquement « plus
à gauche ou écolo que moi, tu meurs ». Et ça n’est pas porteur pour les
électeurs et, rien que ça, est une raison valable pour les cadres PS et EELV, voir
PS, refusent de se battre sous cette bannière AEC.
Les thèmes forts sont foireux. Lors d’une intervention
télévisée, hier, par exemple, Clémentine Autain a dit que la retraite à 60 ans
était à condition d’avoir 40 ans de carrière. Elle-même est donc contre la
présentation de cette mesure car elle sait que les Français n’en veulent pas vu
le pataquès sur l’âge de la retraite depuis 1981. Le SMIC à 1400 euros nets ne
représente pas une grosse augmentation mais peu importe le montant (d’autant
que ma mémoire est parfois limitée). Les gens ne sont pas concernés. Par
contre, ceux qui touchent 1400 euros vont se retrouver smicards et la plupart
des gens connaissent des petits employeurs qui auront du mal à rétribuer les
salariés.
En résumé, le programme ne montre pas un projet visible par
les électeurs et les mesures phares sont foireuses. Vous pouvez prétendre et
penser le contraire mais c’est la stricte vérité. Relisez vos publications dans
les réseaux sociaux…
La dernière formation politique a avoir gagné sur un projet
de société est LREM. On va dire : « bon
les gars, vous gueulez parce que le président de gauche d’avant était à droite
et vous n’êtes jamais content mais de tout manière votre clivage entre la gauche
et la droite est usée, et il nous faut passer à autre chose. On va être ni
de droite ni de gauche et c’est comme ça qu’il faut faire. » Le
précédent a avoir gagné une élection présidentiel et une majorité
présidentielle, était en 2012, évidemment. On va dire : « bon les gars, ça commence à bien faire avec toutes ces
banques américaines qui nous imposent une politique et notre adversaire sera le
monde de la finance et on va commencer par renégocier les projets européens ».
Vous pouvez prétendre le contraire mais c’est la stricte vérité, disais-je. On
sera d’accord sur le fait que Macron a gouverné plutôt à droite, notamment au
niveau économique, et qu’Hollande n’a pas plus terrassé d’adversaires qu’il n’a
renégocié des traités… On pourrait remonter plus loin… 1997 : « bon, les gars, il va falloir vous sortir les doigts du
cul et travailler plus si vous voulez gagner plus d’oseille et l’Etat va vous
aider, on va vous aider à acheter des maisons et tout ça. » Passons
2002 un peu particulier et arrêtons-nous en 1995 : « bon, les gars, ça commence à bien faire toutes ces
conneries de droite mais il y a dans ce pays comme une fracture sociale. »
Cela étant, j’ai dit que la plupart des mesures du programme
AEC (je n’ai pas encore en tête le détail des accords Nupes) sont acceptables
et d’autres ne le sont pas (pour moi, par exemple, ce qui concerne le
nucléaire, je l’ai assez dit) mais il faut un compromis (et chacun peut juger
ce qui lui va ou pas).
Mais il y a des problèmes de fond. Le plus simple est le
retour sur les lois travails et El Khomri (en cherchant bien, vous trouverez
aussi un retour sur les réformes territoriales) : on ne se bat pas pour
remettre en cause des lois qu’on a fait voter sans refaire une étude point par
point. Si vous ne voulez pas des cars Macron, c’est une chose. Que vous pensiez
que les prud’hommes ne doivent pas avoir un plafonnement des indemnités, une
autre. C’est pareil pour le CICE (qui n’est que le prolongement des mesures
Jospin sur les cotisations, au fond) et un tas de truc. On ne dit pas : on
va revenir en arrière. Non seulement c’est trahir les opinions qu’on a eues
mais ça revient à dire « bon les gars, on a fait
de la merde par le passé mais on ne va pas recommencer, hein, au fond, on n’est
pas des loosers qui avons tout raté et se retrouvent à 1,6%, on mérite de
revenir au pouvoir, hein !, c’est pas nous, c’est les autres qui travaillent
maintenant avec les nouveaux vainqueurs ». Ce n’est pas un projet
de société, c’est de la communication de merde et ce n’est pas porteur.
Il y a, aussi, le rapport avec les institutions
internationales. J’aurais voulu que le projet précise qu’on ne touche à rien,
évidemment (mais on ne sait pas si ces guignols veulent sortir de l’OTAN, de l’OMC
et de l’association internationale des producteurs de bière), c’est un
reniement complet des valeurs portées par le Parti Socialiste et pour
lesquelles j’ai si souvent voté.
Mais le plus terrible concerne les traités européens :
on ne peut pas en avoir une application à la carte (pour des raisons évidentes
que j’ai d’ailleurs déjà évoquées) et refuser certains aspects. Dans les
projets socialistes gagnant, précédemment, on avait des renégociations et c’est
tout à fait possible. Pendant la crise sanitaire, d’ailleurs, les Etats européens
se sont mis d’accord pour mettre certains volets en suspens alors qu’on arrête
de tout comparer.
L’accord avec le PS est clair (du moins le communiqué LFI) :
on renégocie les traités. L’accord avec le PCF ne dit rien. L’accord avec EELV
dit : « il nous faudra dépasser ces
blocages et être prêt·es à désobéir à certaines règles européennes ».
Si cela devrait être fait, c’est totalement inadmissible et les lascars du PS
qui ont voté le texte sans demander un communiqué explicite de LFI pour
éclaircir les différences entre les trois textes sont des traitres, il faut le
dire. Des traites à des années de positionnement politique, des traitres à des
années de construction de l’Europe.
Jamais, auparavant, un accord électoral n’a prévu une telle
trahison.
Il y a, ensuite, les aspects liés à la laïcité et à la
République. « Ma gauche » ne peut pas soutenir des lascars qui n’ont
pas les fesses propres. C’est plus important que tout, que le projet, que le
candidat, que le programme. C’est la base de nos institutions. Cela contient beaucoup
de chose, comme les relations avec le fameux islamogauchisme (on en pense ce qu’on
en veut, au sujet de la véracité de la chose, ce n’est pas moi qui vais
autorisé les burqinis dans ma baignoire en accusant les autres de mettre le
sujet sur le tapis) mais j’attends sincèrement des membres de LFI qu’ils
remettent les pendules à l’heure et calment les militants.
Entre nous, je suis membre du Printemps Républicain (du
moins, je fais partie de leurs groupes) et je vois les tweets expliquant que
les membres sont des fascistes, des racistes et des islamophobes. Cela commence
à bien faire mais cela montre surtout que les auteurs de ces propos ne
comprennent rien à rien et je ne veux pas gouverner avec eux. Je ne peux pas
travailler avec des gars qui se prétendent de gauche et qui ne veulent pas
lutter contre l’influence croissante d’une religion dans notre vie publique,
une religion quelle qu’elle soit, mais il n’y en a qu’une qui revendique la nécessité,
pour les gonzesses, de se foutre un sac poubelle sur la trogne, il n’y en a qu’une
qui vienne périodiquement poser des bombes chez nous ou assassiner des braves
gens.
Sans compter qu’ils occupent les terrasses de nos bistros
pour boire des cafés… obligeant les bistros à ne plus vendre de café après 17h.
On marche sur la tête.
Enfin, pour l’anecdote, il y a la sixième république mais
personne ne sait ce qu’il y a derrière (les insoumis non plus, d’ailleurs, vu
qu’ils veulent qu’une « constituante » décide) mais c’est assez
rigolo de voir des clowns, et je pèse mes mots, vouloir lutter contre la
monarchie présidentielle alors que toute leur communication est basée sur le
culte, voire la vénération, du chef !
Par ailleurs, une constitution a deux aspects : des
principes généraux – liberté, égalité et tout ça – et un mode de gouvernance.
Dans ce dernier, le seul truc important est la capacité à avoir une majorité représentative
capable de gouverner (pour éviter le bordel de la quatrième République). Le
reste n’est pas sans importance mais est quand même assez proche du pipi de
chat. En outre, il ne faut pas oublier que le président élu, quelle que soit la
méthode, pourra toujours revenir vers le peuple, par un referendum, pour revoir
des principes des institutions et la parole du peuple est heureusement au-dessus
de tout. Alors en pondre une pendule n’est pas franchement nécessaire.
1981, 1997, 2012 : la gauche a repris le pouvoir. Sans s’asseoir
sur les principes de la Républiques, les traités signés, les lois votées précédemment
quand on était au gouvernement. A cette époque, on avait des projets de société.
C’est assez simple.
La gauche a pris ou repris le pouvoir, ces années-là (comme
ne 1936, d’ailleurs) sans plateforme commune de premier tour mais avec des simples
accords pour ne pas se foutre sur la gueule.
"Dans les projets socialistes gagnant, précédemment, on avait des renégociations et c’est tout à fait possible." Oui, sauf que quand on se fait élire en disant je renégocie et qu'on ne le fait pas, ça marche une fois, pas deux. et qu'en réalité les traités européens ne sont pas renégociables sur un seul quinquennat. Et qu'il est donc gênant de dire les traités placent le marché et la concurrence au dessus du social, mais c'est pas grave, c'est comme ça. Parce que ça met Mélenchon à dix fois le résultat du PS et à juste titre. Il y a un moment où il faut trancher le nœud gordien.
RépondreSupprimerEt le tête de noeud gordien, visiblement.
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