Avant-hier soir, j’ai rencontré celui qui reprendra la
gestion de la Comète au début de l’année. Je me suis alors rappelé (ce n’est
pas compliqué) tous les patrons que j’ai connus dans mon bistro : Martine
et Jean, Patricia et Patrick, Bruno (et un peu Jérôme), Mathieu et Nellie, Nellie
seule, Ambre et François (puis Ambre « plus seule », François ayant
une autre affaire), puis Jérôme (un autre) et maintenant André (le prochain
étant… Nicolas). Puis je me suis rappelé comment certains changements avaient
correspondu à des bouleversements de ma vie privée ou professionnelle.
Toujours est-il que voila encore 26 ans de ma vie bistrotièrement
locale transformés et comme je me prépare à fêter les dix sept ans de ce blog,
autant en faire un billet ! Bouleversement ? Transformation ?
Que de mots forts. J’abuse, je sais.
Je suis entré dans la Comète pour la première fois le
dernier lundi d’octobre 1996, alors que j’habitais à 250 mètres depuis près de
trois ans. Je venais de quitter un poste à responsabilité dans l’échelon breton
d’une association nationale après 19 ans de « montée en grade » ce
qui allait me donner beaucoup plus de loisirs (j’étais occupé, auparavant,
pendant l’intégralité de mes congés scolaires et une quarantaine de week-ends
par an). Parallèlement, un changement de client principal, au boulot, allait
faire que je ne pourrais plus revenir au bled aussi souvent sans contraintes.
En plus, j’allais au boulot en métro et plus en voiture.
Auparavant, rentrant à Bicêtre avec ma valeureuse Xantia, il
fallait que je la gare, donc que j’aille dans mon parking, dans mon immeuble,
ce qui fait que j’allais directement chez moi, en ayant pris soin d’aller faire
les courses en route.
C’est ainsi que ce lundi 27 octobre 1996, sortant du métro
après une journée chargée (ou pas…), je me suis arrêté dans le premier bistro
sur ma route. Le seul en allant chez moi. Et depuis 26 ans, j’y vais tous les
jours, quand je suis dans le coin et que le bistro est ouvert, soit environ 95%
de mes journées de travail (sauf depuis la crise sanitaire, évidemment, d’autant
qu’elle a marqué, pour moi, le début des alternances entre des jours à Paris et
du télétravail en Bretagne).
Ce n’est pas rien ! Sans doute près de 6000 jours de passage
(en comptant le week-end) et plus de 4000 fermetures. Excusez du peu. Ne
convertissez pas en fûts de bière, merci.
Cela faisait suite à un… bouleversement dans ma carrière
professionnelle, début octobre. J’arrêtais alors de faire du développement d’applications
pour distributeurs de billets pour passer en « maîtrise d’ouvrage en paiement
par carte », revenant dans le monde des GAB deux ans après, mais toujours
en maîtrise d’ouvrage. Je me présente comme informaticien mais je n’ai pas
touché une ligne de code depuis ces 26 ans, depuis que j’ai mis le pied dans ce
bistro ! Et je devrais tenir jusqu’à la retraite, comme la disparition des
espèces, tant annoncée par des experts en rien, n’est pas près d’arriver… alors,
il est probable que je vende mon appartement et que je quitte le quartier,
abandonnant ma Comète.
Mais je n’en suis qu’au premier mois, voire au premier jour…
11 ans ont passé à une vitesse folle. Jean était le gérant, Martine son épouse
et, Roger, il me semble, le propriétaire du fond de commerce, les murs
appartenant à une dame très âgées (à près de 100 ans, elle est encore
propriétaire de l’immeuble en entier). Notons bien la hiérarchie : Jean
payait un loyer à Roger pour l’usage de la licence et du commerce, Roger payant,
quant-à-lui, un loyer pour l’implantation de son commerce dans un espace
commercial.
Jean a eu, de mémoire, 60 ans à la fin 2007 et les bistros
devenaient non-fumeurs au premier janvier 2008. Jean a prétexté ce fait (cachant
le manque d’envie de devoir revoir toutes ses règles de gestion) pour prendre
sa retraite. Roger en a profité pour vendre le fond de commerce à un margoulin
qui était déjà propriétaire d’un fond de commerce (un bistro) en banlieue. Le
nouveau a confié à la direction à Patricia, sa sœur, et à Patrick, l’époux de
cette dernière ! Ces derniers n’étaient pas gérant mais simples salariés.
Pour eux, cela change beaucoup ! Ils gagnaient de l’argent en fonction des
heures passées et pas du chiffre d’affaires. Ils n’étaient pas « intéressés ».
Ils n’avaient aucun pouvoir, ne pouvaient même pas offrir un verre à un client
et n’avaient strictement aucun intérêt à dépasser l’heure officielle de
fermeture, 21h à l’époque. Le frère – le propriétaire – n’avait aucune
considération pour eux. Il n’avait fait qu’un investissement financier et
chargé des proches de le faire fonctionner, sans leur en donner les moyens et
avec un salaire assez dérisoire.
C’est amusant. Autant Jean (et Martine mais à une moindre mesure
comme c’est lui faisait les fermetures) a joué un rôle dans ma vie, un peu la figure
du père, avec qui je passais deux ou trois heures par jour, autant c’est moi,
je crois, qui ai été important pour Patricia et Patrick, leur servant de
confident mais aussi de conseiller, tout en assurant une partie des relations
avec les serveurs (il y a prescription mais les serveurs ne savaient pas, à l’époque,
qu’ils touchaient plus que ceux qu’ils prenaient pour les patrons, par
exemple).
J’avais envie qu’ils réussissent. J’étais le seul gros
client à être resté après le départ de Jean. C’était psychologique : au fond
d’eux-mêmes, la Comète était Jean ou Jean était la Comète. L’un sans l’autre ne
pouvaient exister. J’aurais pu me barrer, aussi, mais la Comète était MON
bistro. Il fallait que je tienne, d’autant qu’un de mes fiefs, les Monts d’Aubrac,
avait disparu dans l’année, et que l’autre, l’Aéro, avait changé de patrons.
Surtout, fin 2007, j’avais décidé de quitter la SSII qui m’employait
et mon client de l’époque avait choisi de m’embaucher (ça s’est concrétiser en avril
2008). Sans doute ne pouvais-je pas avoir ma vie professionnelle et ma vie
bistrotière partir en couilles en même temps… Cela fut le second des
bouleversements dont je parlais : j’allais quitter le monde du conseil en
informatique pour celui de la banque (cela ne change pas trop au niveau du
métier mais beaucoup au niveau de la carrière et des responsabilités). En même
temps, j’allais m’encrouter (quand on est dans le conseil, on passe une partie
de sa vie à se demander ce qu’on fera le lendemain, quel sera le nouveau
client, comment augmenter son niveau de facturation pour que la paye suive…). J’allais
rentrer dans des grilles, jusqu’à ma retraite, commençant à un niveau de
salaire mais n’ayant plus d’espoir de progression sans nouveau bouleversement…
Au bout de trois ou quatre mois, Patricia et Patrick ont
décidé de jeter l’éponge : le frangin ne voulait céder sur rien et ils n’avaient
plus aucun espoir. Ils ont trouvé du boulot « dans leur vie d’avant ».
Ils sont partis fin mai.
Des mauvaises langues m’ont dit après que le frère n’avait
jamais payé Roger pour l’achat du fond de commerce, ce que je crois volontiers
mais je n’ai jamais pu suivre les aspects judiciaires de la chose. Toujours
est-il que Roger a pu vendre son fond à une boite. La Comète a pu rouvrir mi-juin
après une quinzaine de jours avec de très importants travaux : refonte
complète du décor et remplacement des vieilles véranda des années 1970 par des
terrasses ouvertes… aux fumeurs, chassés des bistros six mois avant.
Les nouveaux tauliers ont confié la gérance à Jérôme et Bruno
qui tenaient déjà une autre affaire ensemble. Jérôme allait surtout rester dans
l’ancienne alors que Bruno allait se consacrer à la nouvelle (ils conservaient
une gestion en commun et se remplaçaient mutuellement pendant les congés). Ils
ont eu beaucoup de chance. Ils sont devenus patrons pendant les travaux « chez
Auchan » et les ingénieurs et autres contremaitres avaient choisi la
Comète comme cantine. Jusqu’à l’ouverture du nouveau commerce, ils montaient jusqu’à
160 couverts par jour ! Mais tout a pris fin en mars 2020 et, en juin, ils
étaient dehors, remplacés par de nouveaux « cogérants », Matthieu et
Nellie, tous deux de Saint Flour (mais ne se connaissant pas) et changeant l’ambiance
du bar qui est redevenu plus familial.
Bruno et Olivier avaient décidé de fermer le comptoir à 19
heures pour éviter que les ivrognes ne dérangent les clients qui voulaient
dîner paisiblement. On s’est retrouvés un peu orphelins et on allait picoler
ailleurs jusqu’à environ 21h30. Le nouvelle Comète fermait souvent très tard et
nous festoyons beaucoup… mais avec deux heures trente de trou (trou qui a fini
par être abandonné). On rigolait bien mais on n’avait plus d’atomes crochus avec
les patrons. D’ailleurs Bruno était à moitié mythomane et, s’il était excellent
pour monter des bistros, ne voyait absolument pas ce qui s’y passait et à quel
point une partie des serveurs qu’il embauchait était nuisible.
J’ai un souvenir très partagé de cette période…
Les dix ans qui suivirent furent plus paisibles, comme du
temps de Jean, trois avec Mathieu et Nellie, deux avec Nellie seule puis cinq
avec François et Ambre. Mathieu avait une espèce de poil dans la main mais
presque inversé : il ne supportait pas de travailler sans être dans le
jus. Le soir, quand il était de service, s’il n’y avait pas beaucoup de
clients, il se barrait et laissait le serveur tout seul. Le serveur avait du
mal à tout faire, les clients du soir ont déserté et ainsi de suite…
Mathieu n’avait qu’un rêve : prendre une deuxième
affaire, un peu comme Jérôme et Bruno. Gérer deux affaires à deux est beaucoup
mieux, semble-t-il, que gérer une affaire tout seul… et est surtout plus
lucratif, tout en permettant de s’octroyer des week-ends (c’est une sensation
que j’ai mais j’ai du mal à expliquer tout ça rationnellement).
Mathieu a décidé de partir au bout de trois, avec un copain à
lui qui était serveur à la Comète, pour prendre une autre affaire en gérance
avec, en tête, l’idée d’en prendre une autre.
Nellie est restée encore deux ans mais je crois bien que c’est
son époux qui en a eu marre, d’une part de mettre un trait sur son propre job
et, d’autre part, de gérer la vie familiale un peu tout seul. Un couple de
gérants est arrivé, en juin 2015, si je compte bien : Ambre et François. Les
premières années, c’était surtout François qui tenait la boutique, Ambre étant
surtout occupée à faire des enfants. Au bout de trois ans, je crois, ils ont
fini par prendre une autre affaire. C’est alors surtout Ambre qui était à la
Comète mais ils ont vite tout délégué à des loufiats… Dont un très con,
Jonathan, un Espagnol, qui a foutu en l’air toute l’ambiance.
François et Ambre ont fini par abandonné la Comète, au
profit d’une autre (une troisième donc) affaire. Je crois bien que les propriétaires
du fond ont fini par vendre. Cela est tombé pendant la crise sanitaire et le
tout ne s’est pas très bien goupillé.
Le nouveau gérant, Jérôme, un autre, était mauvais mais
faisait parti de ceux qui connaissent mieux que tout le monde. Cet imbécile n’avait
même pas vu qu’il avait la possibilité de faire une terrasse gigantesque et de
gagner un tas d’oseille quand l’intérieur des bars étaient encore interdit. Je
m’en fous un peu vu que, à l’époque, j’ai commencé à confiner (télétravailler,
pardon) en permanence en Bretagne. Autre bouleversement dans ma vie
professionnelle ?
L’affaire de Jérôme a coulé et de nouveaux propriétaires ont
acheté le fond, mettant comme directeur l’actuel patron, André (qui, comme
Patricia et Patrick, à une autre époque, n’est pas le gérant mais est un simple
salarié, à un autre niveau cependant…).
Le moment a coïncidé avec la fin de la crise sanitaire et donc
de mon ermitage à plein temps en Bretagne (remplacé par deux mi-temps).
Voila comment revisiter vingt-six ans ! La Comète va
voir un nouveau gérant dans une dizaine de jours, un Nicolas.
Ca s’arrose !
Longue vie à la Comète et au taulier du blog !
RépondreSupprimerMerci !
SupprimerToute une aventure, cette "Comète"!
RépondreSupprimerSanté à toi!
Santé !
SupprimerC'est une belle histoire un peu triste.
RépondreSupprimerBourvil chantait ceci dans son Clair de lune à Maubeuge :
"Tout ça n'vaut pas
Une croisière sur la Meuse
Tout ça n'vaut pas des vacances au Kremlin-Bicêtre"
Peut-être avait il raison
Hélène
Il avait raison. Sauf pour cette année. Je suis bloqué à Bicêtre pendant mes vacances de Noël à cause de ces cons de grévistes mais c'est une autre histoire.
SupprimerEh ! oh ! Seuls les réacs-qui-puent certifiés bios et élevés sous la mère ont le droit de parler de "ces cons de grévistes" !
SupprimerLes vertueu-ses-x femmes z'et hommes de gauche se doivent, eux, de soutenir le juste combat de leurs camarades en lutte contre les menées oppressives de la ploutocratie bourgeoise.
Le règlement a changé : on peut traiter les enculés de grevistes.
SupprimerTrès joli billet. J'ai apprécié les moments passés avec toi.
RépondreSupprimerJe pense remonter plus souvent sur Saclay l'année prochaine. Je viendrai m'encannailler et refaire le monde avec toi
J’espère !
SupprimerMoi aussi et ça fera du bien à tous les deux :)
Supprimerwahouu quelle connaissance de l'histoire du lieu. Du coup sur Facebook j'ai raconté mon souvenir d'un rade de qualité.
RépondreSupprimerJ’ai vu !
SupprimerJ'ai souvenir d'un bistro où j'allais en face de mon lycée, avenue de Clichy. La serveuse était sympa mais ça doit faire longtemps qu'elle est morte.
RépondreSupprimerC’est joyeux !
SupprimerNJ
je me pose la question au sujet de la dame dont j'ai parlé dans Facebook.
SupprimerLes serveuses de bistrots ne meurent jamais : si elles ont été vraiment méritantes, elles se réincarnent en pompes à bière. Sinon, en torchon à) essuyer le comptoir.
SupprimerJ'aimais bien la carte de la Comète avant 2007. Plus simple que maintenant et surtout moins cher. Je ne savais pas trop qui était gérant ou serveur en 2008, mais c'était catastrophique !
RépondreSupprimerSociologie des bistrots si ce livre n'existe pas, il faudrait l'écrire...
RépondreSupprimerSinon, c'est Jérôme et Olivier ou Olivier et Bruno en 2020 ?