Depuis environ un an et la sortie « publique » de
ChatGPT, on parle beaucoup d’intelligence artificielle. Vous pouvez utiliser Google
News pour mesurer la percée de l’IA… au moins dans les médias. Deux
informations ont retenu mon attention, cette semaine. Tout d’abord, Elisabeth Borne
a lancé un comité
machin avec pour but « pour but de
contribuer à éclairer les décisions du Gouvernement et faire de la France un
pays à la pointe de la révolution de l'intelligence artificielle. »
Ensuite,
une entreprise de « veille médiatique » a décidé de remplacer « Remplacer plus de 200 emplois par une intelligence
artificielle ».
Pour commencer ce billet, je tiens à rappeler que l’IA n’a
rien de neuf. Par exemple, c’est un thèmes centraux de « 2001,
l’Odyssée de l’espace », dont le tournage a commencé à 1965 et il est
fort probable que Stanley Kubrick y pensait depuis quelques années. Wikipedia
nous dit que des « êtres artificiels » étaient présents dans la
mythologie grecque et que des « machines pensantes » étaient évoquées
dans la littérature dès le XIXe siècle. On ne va pas refaire l’histoire
mais notre encyclopédie favorite en ligne estime la naissance de l’IA entre 1943
et 1956.
Nous sommes dimanche et je peux me permettre un billet un
peu personnel. Mon père était passionné par l’informatique et, avec des amis,
il avait créé un club de microinformatique, Microtel, au bled, dans les années
1970. Dès mes 12 ou 13 ans, il m’amenait avec lui ce qui fait que cela fait à
peu près 45 ans que je fais de la programmation (on appelle ça « du code »,
maintenant). J’ai même été formateur très peu de temps après, avant que la
gauche n’entame le tournant de la rigueur. Les années ont passé et j’en ai fait
un métier, commençant un premier vrai stage avant mes 20 ans et un vrai boulot,
18 mois plus tard, avec le statut « d’ingénieur d’application junior »
ce qui ne veut rien dire mais ça faisait la fierté de ma mère d’avoir un fils « officiellement »
ingénieur avec un bac plus deux suivis d’une année de formation professionnelle
(à chier). Elle n’était pas dupe mais, comme j’étais assez nul en classe, elle
s’était toujours demandé ce qu’elle allait faire de moi… Et j’étais casé avant
mes 21 ans, avec un vrai métier prometteur. Quant à moi, à 23 ans, je me
foutais de la gueule de mes collègues, vrais ingénieurs, mais touchant moins
que moi… J’avais déjà 10 ans expérience, développé des vraies applications (par
opposition à leurs exercices de TD), surtout des jeux.
Fini la gloriole pour aujourd’hui !
J’avais quitté la résidence familiale pour mes études en
1984 et, quand je rentrais le week-end, nous discutions souvent informatique
avec mon père. Je me rappelle une longue discussion au sujet de l’intelligence
artificielle et, pour la fête des pères en 1989 (je m’en rappelle car je
faisais mon service), je lui avais acheté un livre à ce sujet.
Tout ça pour dire que les notions d’intelligence sont à la
disposition du grand public depuis au moins 35 ans, sans doute 40. Il n’empêche
que j’avais tenté de lire ce bouquin et j’avais abandonné, tant il était chiant
et loin de l’informatique que je pratiquais au quotidien. Je suppose que mon père
ne l’a jamais ouvert…
Toujours est-il que c’est avec ces 35 ans de retard que les
médias généralistes ont commencé à aborder le sujet, sans doute à l’occasion
des premiers tests de ChatGPT. On ne va pas leur donner tort pour différentes
raisons, la principale était qu’on se demandait si l’IA existait vraiment et ce
que cela voulait dire.
Jusqu’à il y a quelques années, alors que je m’étais
intéressé au sujet trente ans avant, je n’avais qu’une vague idée, genre « des
logiciels capables d’apprendre tout seul » sans trop savoir ce que cela
voulait dire et sans avoir la moindre idée de la mise en pratique au niveau de
la programmation. Je pensais, en fait, que c’était du vent. Les ordinateurs devenant
plus puissant, tant au niveau de la vitesse de calcul que de la mémoire, on
pouvait leur faire faire des choses encore plus compliquées.
Notons qu’à un niveau politique, c’était déjà très important
pour moi. Le monde du travail avait connu des grosses évolutions depuis des décennies
mais le « travail intellectuel » allait lui-même être révolutionné
assez rapidement, entraînant la disparition de métiers. J’ai d’ailleurs pu le
constater moi-même, pour un domaine d’activité que je ne connaissais pas, à l’occasion
du règlement de la succession de ma mère (tant qu’à parler de la famille…). La
notaire avait des logiciels informatiques pour faire « ses trucs ».
Nous relisions un document, y apportions des corrections (sous Word, sachons
rester simples…) et, automatiquement, les documents officiels étaient établis
et nous pouvions les signer avec une espèce de « signet » sur un
genre de tablette.
D’ici quelques années, avec l’interconnexion des systèmes
informatiques, tout sera fait automatiquement : les données seront
récupérées auprès des banques et autres institutions gérant le pognon, comme
les assurances, mais aussi les services de l’Etat, les cadastres et tous ces
trucs, comme les services d’état-civil.
Les métiers de notaires et de clercs de notaire vont bien
évoluer. Ce n’est pas mon domaine mais je les incite à la plus grande prudence
mais aussi, comme on dit, à la « proactivité ».
Tout cela n’a strictement rien à avoir avec l’intelligence
artificielle, pourtant. C’est de la simple algorithmique. Tu modifies un
chiffre, ça modifie les totaux, tu cliques sur un truc, ça te sort un bidule et,
avec un machin, tu l’envoies automatiquement à un autre bastringue.
Malheureusement, j’avais été conforté dans mon idée que l’IA
n’existait pas vraiment au cours d’une formation professionnelle. Comme tout le
monde, j’ai droit à quelques jours par an et, périodiquement, je choisis des
formations généralistes (par opposition à techniques) relatives à des
évolutions des pratiques de la profession, comme le « cloud », le « chat »,
le « big data » ou, quelques années auparavant, le « BYOD »
(t’as qu’à prendre un dictionnaire…). Vers 2018, donc, au cours d’un de ces
types de séminaire, il y avait quelques heures consacrées à l’intelligence
artificielle. Le formateur n’avait fait que développer ma théorie, en gros que
l’IA est du pipeau et que tout cela n’était que de « l’algorithmique »,
à savoir l’utilisation de la puissance croissante des ordinateurs pour en faire
plus.
Je l’ai même peut-être bien écrit dans mon blog.
Cette ignorance est sans doute une des explications du fait
que notre première ministre lance que maintenant des études pour que la France devienne
à la pointe de ce secteur alors que des boites américaines sont déjà à fond
dedans. On est comme ça, en France… Sans compter les décalages entre les
ambitions politiques et les mises en œuvre sur le terrain.
Cela n’empêche pas la France (c’est
très récent) d’être « au premier rang de
l'indice de qualité de vie numérique sur 110 pays analysés en 2023. Ce
classement mondial se base sur plusieurs critères comme l'accessibilité
financière et la qualité du réseau Internet, le développement des
infrastructures, le niveau d'administration électronique, ou encore la
cybersécurité. »
Il y a un an, un de mes collègues proches (son bureau est en
face du mien), qui développe des petites applications en parallèle de nos
systèmes principaux, a commencé à utiliser des technologies « du cloud »
mais aussi de « l’intelligence artificielle » et m’a montré des trucs
bluffant qu’il arrivait à faire. J’ai commencé à douter de mes croyances malgré
ma chère liberté de conscience.
ChatGPT est sorti quelques mois ce qui achevé ma conversion.
ChatGPT n’est tout de même
pas un outil d’intelligence artificielle mais un « agent conversationnel »
utilisant l’intelligence artificielle, ce qui peut provoquer de nouvelles
confusions. Un agent conversationnel est ce qui permet de faire croire à un
gugusse que l’ordinateur cause avec lui mais l’agent peut-être con comme une
bite (je m’amuse beaucoup avec celui de la SNCF).
En juin, à l’occasion d’un séminaire d’entreprise, nous
avons eu une petite conférence nous présentant l’intelligence
artificielle générative. C’était vachement compliqué et je n’ai pas tout
compris, rassurez-vous. Certains de mes collègues ont fait semblant (mais j’ai
compris aux questions qu’ils posaient à la fin qu’ils étaient à moitié barrés).
C’est compliqué notamment parce qu’il faut ingurgiter un tas de notions comme
le « deep
learning ».
Je vais me lancer dans une explication pour les nuls. Vous
prenez un ordinateur avec du logiciel et vous apprenez à ce dernier la
structure de la langue, avec ses variantes (et ses fautes de langage…). Vous
lui donner à manger des milliards de texte : des encyclopédies, des articles
de presse, des romans et même des billets de blog. Il va analyser tout cela et
finir par faire le rapprochement entre les mots ou les phrases.
C’est ainsi qu’il va comprendre que quand un gros dit « on
est dimanche midi », il va comprendre « c’est l’heure de l’apéro ».
Et comme il n’est pas con, il va se dire « cet abruti, il fait l’andouille
sur un ordinateur mais il va être en retard au bistro et les copains vont
commencer à boire sans lui. » La phase suivante étant : « ils
vont être plus bourrés que lui il va se faire chier ».
Au fond, vous n’avez pas besoin d’en savoir plus (pour ma
part, si je trouve une formation vraiment « vulgarisante », j’y fonce.
De toute la littérature qu’il aura ingurgitée il aura pu faire le rapprochement
entre le dimanche midi et le fait que les gens saouls sont pénibles et en tirer
tout un tas de conclusions que je pourrais multiplier pour rigoler mais nous
sommes dans un blog sérieux.
Vous aurez compris que, outre la nécessité de comprendre
syntaxiquement, ce qu’on lui bavasse, la machine aura à connaître des milliards
d’information pour pouvoir en tirer quelque chose d’utile. En gros, les gens de
ChatGPT, ils ont aspiré tout le web et ont donné cela à bouffer à leurs
ordinateurs. Il faut donc une capacité informatique incroyable, notamment au
niveau de la mémoire et du stockage.
C’est aussi une des raisons, d’ailleurs, pour laquelle l’IA,
notamment celle « générative », à la mode maintenant, ne peut connaître
un essor que depuis peu.
Pour l’anecdote, c’est aussi pour ça que quand vous
demandiez à ChatGPT qui est le président des Etats-Unis, il répondait « Trump »,
c’est parce qu’il avait bien fallu arrêter, à un moment, « d’aspirer le
web » pour que le truc puisse commencer à analyser.
Il y a d’autres raisons au retard de l’IA. Par exemple, il
est assez impossible de croire à l’avenir de quelque chose auquel on ne croit
pas. En plus, c’est anxiogène. Mon blog est politique et je comprends très bien
qu’une personnalité politique ne puisse pas dire à un salarié qu’il risque fort
de perdre son job à cause de ces âneries.
Prenez mes zozos du départ. Je me cite : « une entreprise de « veille médiatique » a décidé de
remplacer « Remplacer plus de 200 emplois par une intelligence artificielle ». »
(aussi bien, c’est du pipeau, d’ailleurs, et les emplois sont délocalisés en
Chine). Les salariés étaient payés pour éplucher la presse et présenter des « revues »
en fonction de thèmes, de mots clés… voire de rédiger des résumés, présentations
globales de l’état de l’art, avec des enjeux, des perspectives…
Une intelligence artificielle sera capable de traiter un
sujet en moins de temps qu’il me faut pour aller jusqu’au frigo pour chercher
une bière et sortir tout ce que l’utilisateur final aura besoin pour son propre
job.
Qui finira d’ailleurs par disparaitre à cause de l’IA.
Le politicien ne peut pas en parler. Evidemment. En plus, il
n’y comprend rien. Vous prenez la réforme des retraites. On peut concevoir qu’il
y a besoin de financement mais il faudrait aussi, en prenant des mesures à long
terme, s’imaginer que l’IA, comme la robotique, fera disparaitre des métiers.
C’est con. Mais, au moins, l'intelligence artificielle créera des emplois. Le chat de la SNCF est peut-être con mais la première ministresse a raison de nous faire sauter dans le train, même s'il est en retard.