C’est pendant que je discutais avec des copains au comptoir
de l’Amandine que la nouvelle est tombée : Jean-Luc Laurent est mort. C’était
le maire du Kremlin-Bicêtre depuis 1995 (sauf de 2016 à 2020, je crois) et le
président du MRC (l’ancien parti de Chevènement). Il avait fait un accident cardio vasculaire (une crise cardiaque, en français) fin décembre et était hospitalisé
depuis. Son état s’améliorait mais il a fait une nouvelle attaque mercredi soir
qui lui a été fatale, hier en milieu de journée.
J’avais beaucoup d’estime pour lui et je suppose que c’était
réciproque (mais il semblait avoir de l’estime pour la plupart de ses
interlocuteurs !). J’avais discuté avec lui pour la première fois à l’occasion
des municipales de 2008. Mon blog était au début de son heure de gloire et personne,
à l’époque, ne connaissait l’influence des blogs sur la politique. J’avais
rencontré ses concurrents, à leur demande (une recherche Google avec « Le
Kremlin-Bicêtre » tombait « chez moi ») et nous avions convenu
de nous voir aussi et ça s’était fait un dimanche matin, dans la salle de
restaurant de la Comète.
J’étais assez intimidé et, en fait, je n’avais pas du tout
envie de parler des projets pour la commune. Lui non plus, en fait. Il passait
ses journées à faire campagne, distribuant des tracts, discutant avec les
électeurs et était fatigué. Alors nous avons papoté de choses et d’autres sans
rapport avec la politique (sauf les contraintes ponctuelles liées à cette
campagne comme le temps que ça prenait)… Nous nous étions presque offert une
heure de détente.
Je l’ai souvent croisé, depuis, car il circulait beaucoup
dans la ville, que cela soit à l’occasion de futures campagnes ou de rencontre
impromptues. Je vais raconter certaines de nos discussions, ci-après, mais ce
que je tiens à noter, ici, c’est que nous n’avons jamais parlé de politique
plus de trois minutes avec des propos de convenance sauf trois fois dont deux où
nous avions rendez-vous pour le faire, l’une à l’occasion d’une soirée de blogueurs
où il avait la vedette en tant que président d’un parti et l’autre sur des aspects
assez techniques liés aux réformes territoriales et au Grand Paris, sujets qui
me passionnaient. La troisième fois était plus personnelle : je lui avais
demandé des nouvelles sur l’avancement des travaux de la place où j’habite.
Pour les sujets de politiques nationales, nous étions
profondément d’accord sur certains aspects en tant que forts républicains de
gauche et en opposition sur d’autres, moi beaucoup plus européen et libéral et
lui plus protectionniste et souverainiste, évidemment. De fait, ça ne servait
pas à grand-chose de discuter de tout cela, on ne va pas débattre pour des
sujets qui nous rapprochent, cela ne servirait à rien, ni pour ceux qui nous
divisent, on ne se serait pas convaincus… C’est sans doute ce que j’aimais le
plus en lui et sûrement ce qu’il appréciait chez moi. Ensemble, nous étions sur
une autre planète, évitant – sans se forcer – les sujets qui remplissaient mes
loisirs (le blogage politique…) et ceux qui faisaient la sienne (la politique).
Un samedi midi, j’étais au comptoir de la Comète. En passant
devant pour aller faire ses courses chez Leclerc, il m’avait vu et était entré
me saluer. « Ah, tu bois du Ricard, c’est une bonne idée, je vais en
prendre un aussi ! » Une autre fois, c’était à l’Amandine qu’il m’avait
vu, un soir. Il était entré pour boire une bière. Un client abruti avait
commencé à lui demander où en était un dossier personnel (une histoire de
logement, je crois). Jean-Luc avait été très poli, très politique, même, prenant
note, faisant preuve de l’empathie nécessaire et l’autre insistait. Alors je m’étais
fâché : « tu vas arrêter de nous casser les couilles, il est 22
heures et tes problèmes personnels, tu peux te les foutre au cul et lâcher la
grappe du maire, un peu de respect. »
Lors de la campagne pour la présidentielle de 2012, après le
meeting de Vincennes, j’étais rentré à Bicêtre et avait foncé boire une bière à
l’Aéro. Jean-Luc Laurent était alors passé, à la tête d’un groupe de militants.
Ils rentraient également de Vincennes.
Rarement j’ai été aussi fier de mes amitiés politiques que
ce soir-là.
Une autre de nos rencontres, sans intérêt, restera gravée
dans ma mémoire. C’était vers avril dernier. Il m’a demandé des nouvelles. Je
lui ai dit que ma mère était morte le 1er mars. Il avait eu l’attitude
d’usage, compassion et tout ça. Si elle m’a marquée, ce n’est qu’a posteriori.
Hier soir en fait. Quand j’ai appris qu’il avait lui-même enterré sa daronne
trois ou quatre mois avant. Il avait donc mis sa propre douleur dans sa poche
pour tenter de m’apporter un certain réconfort.
Notre dernière entrevue est sans doute la plus symboliques
de nos relations et peut-être d’une des facettes de sa vie de maire. C’était cet
été, un midi en semaine. Je buvais un apéro vite-fait, au comptoir. Il est
entré, seul, pour déjeuner. On a échangé les politesses et il s’est installé à
table. Au moment de déjeuner, pour moi, la seule place libre était à côté de
lui. Je m’étais donc assis, sans doute avec le sourire niais de circonstance et
nous n’avons rien dit du repas, tous les deux plongés dans nos smartphones. Ce
n’est qu’après qu’il ait terminé son dessert que nous avons ouvert la bouche.
Quelques mots – peut-être trois chacun – au sujet de la politique nationale :
« ça va mal »…
Il est alors passé à la caisse pour régler, à un mètre de
moi, et a commencé à avoir une discussion sérieuse avec le patron qui m’a mis
dans la boucle vu que le cœur du sujet concernait un ami commun. C’était tout
nous. Une demi-heure, en silence, côte à côte, puis une conversation intense
alors que tout le monde était pressé.
Hier soir, je suis arrivé à la Comète et j’ai annoncé la
triste information au patron, lui qui n’est là que depuis un an. Il m’a dit :
« ah, non, pas lui, pas ce monsieur si gentil… ».
Comment un accident vasculaire pourrait-il être à la fois "cérébral" et "cardiaque" ?
RépondreSupprimerBon, je remonte lire…
Je corrige (j'ai fait un amalgame entre l'accident cardio vasculaire et l'accident vasculo cérébral, bête comme je suis).
SupprimerIl vaut mieux être bête que mort !
Supprimer(Même si un certain nombre d'exemples prouve que le cumul est possible...)
DG
Des trolls ?
SupprimerSoixante six ans c'est court. La politique locale use. Mon père,même causes, est parti à soixante trois
RépondreSupprimerOuais. On a été surpris. Le patron de l’Amandine m’a mêlé dit ce soir qu’il avait cru que l’information était fausse et que c’était une vanne d’un client abruti.
SupprimerIl y a une anecdote que j’ai oublié de raconter. Un jour j’ai croisé Jean-Luc alors que mon troll Elie Arié m’avait cassé les burnes (comme il le fait depuis 2015). Je lui avais demandé s’il le connnaissais. Il m’avait répondu : laisse tomber c’est un vieux fou. On le tolère à cause de son âge.
RépondreSupprimerAprès, alors qu’Arie me faisait chier à nouveau, je lui avais dit que même les patrons de son ex parti politique le traitait de vieux fou. Ce vieux con m’avait dit que je mentais et que JLL était un ami à lui.
C’est raté. Je ne mentais pas.
Désolé d’être un peu méchant mais le commentaire que m’a laissé ce vieux con ici était odieux. Il disait que j’avais fait un billet en hommage à moi plutôt qu’à JLL. C’est faux. J’ai raconté mes relations avec une personne qui était un vrai politique et savait faire croire aux gens qu’il était son ami. Car il était vraiment gentil, pas par calcul politique.
À part ça, il venait me voir quand il me voyait au bistro.
Je n ai qu un seul commentaire a laisser sur le décès de Jean Luc et ce sera ici. Ici car c est la qu a commencé mon aventure sur la blogosphère et qu elle s est terminée. Bravo Nicolas pour cet hommage mérité. Jean Luc t a toujours respecté et bravo pour ce que tu as résumé.incorruptible irascible tenace et véracité ont animé sa vie.Salut l Ami. Salut Jean Luc . Nos lecteurs sauront... Merci pour tout
RépondreSupprimerMerci à toi !
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